Bouygues n’a pas réussi à séduire Vivendi : SFR officiellement racheté par Numericable

Le marché du mobile français est en ébullition, comme il ne l’a pas été depuis l’entrée de Free sur le marché. Nous écrivions ainsi début 2013 que les opérateurs historiques étaient sous pression, à cause notamment des offres agressives du nouvel entrant, mais surtout nous posions la question de l’avenir de ce trio : au sujet de SFR, la question que nous posions alors « L’opérateur serait-il à vendre ? » est aujourd’hui au coeur de l’actualité.

Mais avant d’analyser l’agitation actuelle et les grands mouvements en train de se mettre en place, revenons sur les grandes étapes de la construction du marché français : cela nous aidera à comprendre la mutation en cours.

Retour sur la construction du marché mobile en France

Si le premier réseau téléphonique lancé par France Télécom remonte à 1986 (Radiocom 2000) et si la Compagnie générale des eaux inaugure la concurrence avec SFR en 1987, on peut considérer que le marché s’est vraiment construit à partir de 1992 avec le lancement d’Itinéris par FT : basé sur la norme GSM, ce réseau sur toute la France amorce la structuration du marché mobile.

Le duo est rejoint en 1996 par Bouygues Télécom et ce marché en pleine croissance est régulé par l’Autorité de Régulation des Télécoms (ART, devenue depuis l’ARCEP) créé en 1997.  La France restera structurée pendant plus de 15 ans autour de ce trio, jusqu’à l’arrivée de Free mobile début 2012. Chamboulé par ce nouvel entrant le marché semble depuis chercher son équilibre.

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Dans ce contexte, l’histoire récente du 2e opérateur historique est étonnante. Ainsi Vivendi (anciennement CGE) a toujours été au capital de l’opérateur (autour de 45%) mais après de nombreux rachats successifs le groupe a fait le choix en 2011 de devenir propriétaire à 100% de SFR, reprenant notamment les parts de Vodafone. Paradoxalement, c’est à peine deux ans après que Vivendi déclare envisager une scission : l’opérateur au Carré rouge pourrait être introduit en bourse ou vendu. Les choses s’accélèrent en septembre 2013 : la volonté de se séparer de SFR est officielle, l’opérateur est à vendre.

Ce revirement est d’autant plus surprenant si l’on analyse le marché à partir des deux grandes tendances des années passées : ouverture à la concurrence et concentration.

Une valse à 3 ou 4 temps : quel équilibre entre concentration et ouverture à la concurrence ?

Comme on l’a vu, le marché français a été longtemps organisé autour de 3 opérateurs : de 1996 à 2012, Orange, SFR et Bouygues se sont partagés le marché et certains débordements les ont même conduits à être condamnés pour entente. Le gouvernement, par la voix de l’ARCEP, a donc été un des promoteurs d’une ouverture à la concurrence par l’entrée d’un quatrième opérateur. Cette licence fut attribuée fin 2009 à Free Mobile qui entra effectivement sur le marché en janvier 2012.

Pourtant cette ouverture à la concurrence dans le marché mobile ne paraît plus aussi défendue aujourd’hui qu’il y a quelques années.  Si la stratégie « classique » de faire baisser le prix du service par une augmentation de la concurrence n’est pas remise en cause, ses effets néfastes sont de plus en plus mis en avant, en particulier sur le long terme. Les investissements nécessaires au déploiement d’un nouveau réseau sont par exemple colossaux :

  • le coût de cession des licences 4G s’est élevé à plus de 3,5 milliards d’euros en France
  • l’investissement des opérateurs dans le déploiement du réseau et des antennes varie fortement : d’après les chiffres de l’année 2012, Orange est largement en tête avec presque 3 milliards d’euros, contre environ 2 milliards pour SFR et environ 1 milliard pour Bouygues (qui profite d’un avantage technologique : la réutilisation d’équipements 2G) et Free (dont le rythme de déploiement se fait a minima, selon les contraintes que lui fixe l’ARCEP).

concurrenceLes investissements sont donc une des clefs de défense d’une concentration des acteurs plutôt que d’une plus forte concurrence par une augmentation de leur nombre. La taille critique est un facteur de succès d’autant plus vrai que les groupes ne sont plus limités à l’échelle nationale.

On peut également citer un avantage peu discuté dans les médias : cette taille critique, au-delà de son importance pour l’investissement et l’amortissement des réseaux, est un atout dans la main des opérateurs face à la montée en puissance des constructeurs. Ceux-ci imposent de plus en plus leurs conditions aux opérateurs qui n’ont d’autre choix que de s’allier ou de grossir pour être en capacité de négocier.

Si l’on se place du côté du consommateur, le débat continue de faire rage. Il est évident qu’à court terme l’entrée d’un nouvel opérateur fait baisser le panier moyen – d’autant plus si son cheval de bataille est le low-cost. Cet effet peut s’avérer en revanche n’être qu’un feu de paille car pour maximiser l’équation prix / quantité / qualité de service, la concentration semble une option plus solide, car elle permet de maximiser les capacités d’investissement d’un opérateur.

En France en 2014, le marché semble avoir choisi cette voie, et SFR est en passe de changer de pavillon. Au-delà des raisons macro-économiques qui poussent à la concentration, quelle est la motivation de l’actionnaire Vivendi ?

SFR, caillou ou pépite dans la chaussure de Vivendi ?

yesVivendi mène depuis plusieurs années une politique de rationalisation de son portefeuille d’actifs. A une époque considérée comme attrape-tout et manquant de cohérence (les « années Messier »), la stratégie du groupe a depuis évolué pour se recentrer globalement autour des médias.  Ce recentrage se justifie d’autant plus que la concurrence en la matière se durcit, avec de nouveaux réseaux puissamment armés à l’offensive (notamment issus  du Golfe). Face à ces mouvements, Vivendi a commencé à se constituer un trésor de guerre en cash via les cessions de Maroc Télécom et Activision au cours des derniers mois, et est aujourd’hui déterminé à tirer le meilleur prix de la cession de SFR. Une des raisons les plus probables de cette stratégie de l’écureuilno pourrait être un rapprochement à venir entre Vivendi et Havas, afin de constituer un groupe média intégré susceptible de faire poids dans le secteur de la publicité face au nouveau géant Publicis-Omnicom. Aujourd’hui face à deux offres intéressantes, même si aucune n’atteint les 15 milliards que réclamait Jean-René Fourtou il y a quelques mois, Vivendi semble en passe de réussir son pari.

Quelles perspectives pour le marché français des télécoms ?

Il est intéressant d’observer le rôle des pouvoirs publics dans l’organisation du marché des Télécoms. L’Etat a été à l’origine de l’augmentation de la concurrence, en décidant de mettre sur le marché des fréquences permettant de servir 4 opérateurs, avec dans le viseur l’augmentation du pouvoir d’achat du consommateur (époque « M. Niel est un bienfaiteur pour le consommateur »). Par la suite, l’intensification de la concurrence a généré une diminution de la taille globale du gâteau, donc des marges de chaque acteur, qui ont donc lancé des plans d’économies, passant notamment par des réductions d’effectifs (époque « M. Niel est le fossoyeur de l’emploi »). Dans le mouvement de concentration qui se dessine aujourd’hui, l’Etat n’a en revanche pas la main, s’agissant de groupes privés. Le Ministre du Redressement Productif n’en a pas moins exprimé publiquement son avis aujourd’hui en défendant l’option Bouygues au détriment de Numéricable. Des mesures de rétorsion ont été sous-entendues à l’encontre du propriétaire de ce dernier si Vivendi donnait la préférence à son offre : cela poserait « un problème fiscal puisque Numericable a une holding à Luxembourg, son entreprise est cotée à Amsterdam et sa participation personnelle est à Guernesey et lui-même réside en Suisse« .

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Aujourd’hui à 14h30 Vivendi a pourtant annoncé un choix qui va à l’encontre de cet avis : SFR sera vendu à Numéricable. Le conseil de surveillance de Vivendi « estime que cette offre est la plus pertinente pour les actionnaires et les salariés du Groupe et qu’elle offre la meilleure sécurité d’exécution« .

Les rêves de rachat de Free s’envolant pour Bouygues, attendons maintenant de voir s’enflammer les discussions certaines sur la  légitimité de ce choix quant aux éléments cités plus haut…

Comment cette décision va-t-elle se répercuter sur le marché mobile en France ? Un prochain article Telcospinner vous en livrera les clés…

One thought on “Bouygues n’a pas réussi à séduire Vivendi : SFR officiellement racheté par Numericable

  1. Bonjour,

    Quel signal le rapprochement Bouygues Telecom/Free envoie-t-il aux autres opérateurs?
    Il est de notoriété publique que les 2 dirigeants ne s’apprécient pas particulièrement. Pourtant ils ont su temporairement s’associer pour tenter un coup de poker.

    Cela laisse-t-il entrevoir un prochain mouvement de concentration? Une association/un rachat de Bouygues Telecom par Free est-il envisageable?

    Cdt,
    Loïc BARDON

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