Le 5G Network Slicing, découper pour mieux servir

Le déploiement de la 5G Standalone[1] « 5G-SA » dans lequel les antennes 5G seront raccordées à un nouveau cœur de réseau appelé NextGen Core 5G est prévu en France pour 2023, conformément au calendrier et engagements fixés par l’ARCEP[2].

Ce réseau 5G-SA permettrait l’ajout de nouvelles fonctionnalités dont le Network Slicing, une technologie capable de découper un réseau physique en plusieurs réseaux logiques, aussi appelés slices ou tranches. Chaque tranche fonctionne de manière indépendante avec des performances réseaux et une qualité de service qui lui est propre. Une tranche peut ainsi répondre aux besoins spécifiques d’un client ou entreprise.

Cet article vise à comprendre ce qu’est une architecture basée sur le Network Slicing ? Quels sont les principaux défis à sa mise en place ? Quelles évolutions apporte-t-elle ? Et comment les offres de 5G Network Slicing pourraient orienter le marché mobile vers le B2B ?

La virtualisation dans l’industrie des télécommunications

Si les fournisseurs de service peuvent garantir des SLA[3] (débit et disponibilité garanti, performances…) sur des réseaux privés de type MPLS VPN, leur architecture reste néanmoins figée. Une modification, par exemple pour augmenter la bande-passante, induit un coût matériel et humain important.

Afin de pallier ce manque de flexibilité et transformer l’usage des réseaux privés, l’industrie des télécoms a vu apparaitre ces dernières années des fonctionnalités de virtualisation réseau, à l’instar des machines virtuelles (ou VM, Virtual Machine) en informatique.

Les deux grandes fonctionnalités de virtualisation sont :

  • La NFV « Network Function Virtualization » (ou virtualisation de fonction réseau) permet d’implémenter plusieurs fonctions réseaux (routage, commutation, cryptage, pare-feu…) sur un même équipement là où il était précédemment nécessaire d’avoir des équipements physiques dédiés (routeur, switch, firewall…) ;
  • Le SDN « Software Defined Network » (ou réseau défini par logiciel) est un modèle d’architecture séparant le plan de contrôle du plan de données. Le plan de contrôle est géré par des logiciels (contrôleurs) qui pilotent de manière centralisée le plan de données, c’est-à-dire l’ensemble des équipements acheminant les données d’un bout à l’autre du réseau.
Concept du SDN [4]

Le Network Slicing associe le SDN et la NFV : les contrôleurs SDN orchestrent sur un même support réseau physique les tranches logiques. Chaque tranche se caractérise par un ensemble partagé ou dédié de ressources NFV, ordonnées de manière à répondre aux exigences du client. 

Le concept de 5G Network Slicing

Le découpage virtuel d’un réseau mobile 5G va au-delà des technologies VPN classiques. Il représente en effet un défi technologique majeur impliquant de mobiliser une multitude de technologies réseaux existantes et émergentes : SDN, NFV, Réseau d’accès Radio, NextGen Core 5G, Réseau filaire IP, etc.

Le 5G Network Slicing peut se définir comme :

  • Une couche « service » qui s’interface directement avec les entités métiers/commerciales des fournisseurs d’accès en connectivité Internet (ex : MNO et MVNO[5]). Chaque service est représenté formellement comme une instance qui fournit une vision unifiée des exigences, exprimées sous forme de SLA ;
  • Une couche « fonction réseau » qui accueille un ensemble de fonctions réseaux NFV qui, combinées, sont capables de répondre aux exigences demandées ;
  • Une couche « infrastructure physique » qui héberge les ressources matérielles dédiées ou partagées à l’exécution des fonctions réseaux. Par exemple, les datacenters Core 5G hébergent les ressources en capacité de traitement et de stockage ; les stations/antennes radio 5G hébergent les ressources en bande passante ; les routeurs et switches hébergent les ressources de transport etc. ;
  • Un contrôleur SDN qui interagit avec ces 3 couches pour gérer et orchestrer de bout en bout les slices sur le réseau 5G.
Principe fonctionnel du 5G Network Slicing

Plusieurs expérimentations ont pu prouver la viabilité du Network Slicing notamment sur le cœur de réseau 4G avec un nombre limité de slices. Par exemple, le projet de R&D français « Scorpion »[6] avec une expérimentation à deux slices : l’un pour connecter des objets IoT densément répartis, l’autre pour des applications IoT plus critiques.

Cependant, la complexité du modèle réside dans sa scalabilité. Faute de 5G Network Slicing commercialisé, il n’est pas possible d’évaluer la capacité des opérateurs à mettre en œuvre un nombre conséquent de slices cohabitant sur des réseaux mobiles de grande échelle.

Des slices pour répondre à tous les cas d’usage de la 5G

Abstraction faite des défis technologiques que soulève le 5G Network Slicing, les slices réseaux utilisent une même infrastructure physique pour se partager des fonctions réseaux et répondre à des cas d’usage variés.

Trois cas d’usage communs (ou classes de service) ont été définis par le 3GPP[7] pour couvrir la diversité des besoins sur le réseau mobile 5G :

  1. mMBB – Enhanced Mobile Broadband pour un connectivité avec plus de débit, répondant à des besoins et services principalement orientés grand public (ex : Live streaming en UHD, Réalité virtuelle, Cloud & Online Gaming …) ;
  2. mMTC – Reliable Massive Machine Type Communication (aussi appelé « Massive IoT ») pour connecter des objets IoT densément répartis sur le territoire avec généralement de faibles exigences en débit ou latence ;
  3. uRLLC – Ultra Reliable Low Latency Communication pour les communications ultra-fiables et à faible latence répondant principalement à des cas d’usage innovants (ex : voiture autonome, chirurgie à distance, industrie 5.0).

Dans ce paradigme, un opérateur télécom pourrait définir un slice par cas d’usage avec de nombreux clients sur chaque. Les flux des clients seraient rattachés à une tranche donnée en fonction des exigences de latence, de bande passante et/ou de fiabilité.

Schéma fonctionnel de slices cohabitant sur un réseau 5G

Ce modèle donne un premier cadre aux opérateurs pour définir leur offre de service. Ils auront également la possibilité de décliner ces trois grandes classes en tranches individuelles davantage personnalisées. Néanmoins, une personnalisation complète exige beaucoup plus de travail pour les opérateurs en termes de développement et de maintenance, avec une automatisation et une sécurité intra-slice plus complexes que pour un schéma à trois slices. 

Déclinaison du modèle à trois slices mMTC, eMBB et URLLC[8]

De nouvelles opportunités de revenus B2B pour les opérateurs mobiles

Le 5G Network Slicing permet intrinsèquement de s’émanciper de l’approche « one size fits all » des standards 3G/4G existants. Economiquement, cette technologie bénéficie aux deux partis :

  • Les entreprises possèdent un service de connectivité privé sur un réseau mobile 5G public ou hybride, donc plus flexible et moins couteux que sur un réseau privé type MPLS ;
  • Les opérateurs déploient, gèrent et multiplient leurs offres aux coûts les plus bas sans dégrader la qualité de service d’un client ou un autre.

La capacité à offrir du service personnalisé à la demande ouvre la voie à de nouveaux usages pour le réseau mobile. Un rapport de la société Ericsson[9] révèle que le 5G Network Slicing permettrait de débloquer 400 cas d’usage dans 10 segments industriels différents. Ce même rapport évalue à 200 milliards de dollars d’ici 2030 l’apport du Network Slicing sur le marché mobile.

Le GSMA[10], encore plus optimiste, estime que le Network Slicing permettrait au marché mobile d’atteindre les 446.23 milliards de dollars d’ici 2026, soit 250 milliards de plus que le marché actuel.

Répartition des cas d’usage du 5G Network Slicing dans l’industrie 

En se positionnant sur le marché B2B, les opérateurs mobiles et fournisseurs d’accès tiers pourront diversifier leurs revenus et justifier les investissements conséquents à fournir dans le déploiement de la 5G. En premier-plan, les MNO resteront les leaders en proposant des slices répondant à des besoins de connectivité générique (ex : mMTC, eMBB, URLLC). Les MVNO pourraient également tirer leur épingle du jeu en personnalisant leurs services, axés davantage sur des besoins clients plus spécifiques/critiques. Si les opérateurs et fournisseurs de service sont confiants, il faut toutefois être vigilent à la vague de « buzz » qui se développe et les attentes à l’égard du Network Slicing.

La sécurité et le manque de standards : un frein à l’adoption du 5G Network Slicing

La subdivision du réseau 5G en slices logiques est un avantage indéniable pour les opérateurs et leurs clients. Cependant, elle représente aussi une vulnérabilité potentielle aux cyberattaques que ce soit au niveau des appareils hébergés sur les slices qu’entre les slices elles-mêmes.

Un attaquant pourrait par exemple cibler une slice mMTC avec des capteurs IoT non sécurisés pour atteindre d’autres slices « voisines », voire le réseau cœur de l’opérateur. La sécurité intrinsèque et l’isolation de la slice au reste du réseau représentent donc des enjeux majeurs afin d’assurer aux entreprises l’intégrité de leurs données. Même si les opérateurs tentent de rassurer sur leur capacité à faire au travers d’expérimentations, le Network Slicing reste encore une technologie nouvelle et peu mature pour les industriels. 

Ces derniers pourraient ainsi préférer la 5G privée en utilisant leur propre spectre de fréquences, fermé du grand public. Des entreprises comme Airbus[11] expérimentent dès à présent le déploiement de réseaux 5G privés. Ces réseaux nécessitent toutefois des coûts supérieurs au Network Slicing pour acheter ou louer des plages de fréquences, déployer puis maintenir des antennes et équipements télécoms propriétaires. À noter que le Network Slicing 5G reste un service onéreux pour lequel les industriels devront évaluer clairement son retour sur investissement (performances garanties vs coûts).

Un autre point bloquant réside dans le manque de standards/normes définis par les institutions télécoms, empêchant l’interopérabilité ou l’itinérance d’un réseau Standalone 5G à un autre. L’essence même du 5G Network Slicing est de définir un réseau logique, isolé du reste jusqu’aux utilisateurs finaux. Sans normalisation, le concept pourrait ne jamais aboutir.

L’arrivée du 5G Network Slicing

Les défis économiques et techniques mis en avant dans cet article pourraient venir retarder l’arrivée du Network Slicing. Les opérateurs n’investiront pas tous en priorité dans cette technologie même après le déploiement de leur cœur de réseau 5G. Il faudra qu’ils se dotent d’une architecture d’orchestration SDN sur toute leur chaîne de communication pour contrôler les slices de bout en bout. Les technologies et techniques devront être standardisées et leur fiabilité démontrée pour être industrialisées.

La mise à disposition du Network Slicing sur le réseau 5G semble pourtant bien engagée. En effet, la multiplication des usages sur le réseau mobile n’est plus à prouver : seul le Network Slicing permettra d’offrir la connectivité mobile demandée par tous. Après l’avènement de la 5G Standalone, des business models devraient rapidement être définis. Ils s’accompagneront de la création de nouveaux écosystèmes dans l’industrie des télécommunications pour définir des cas d’usage innovants. Dans cette dynamique, les sites Orange 5G Lab accueillent dès à présent la 5G SA et des fonctionnalités de Network Slicing afin que les entreprises puissent y expérimenter de nouveaux services[12].

 

Bibliographie et définitions

[1] Le mode de déploiement 5G Standalone s’oppose au déploiement en cours en France de la 5G Non Standalone : des antennes 5G accostées au cœur de réseau 4G. Plus de détails sont disponibles dans l’article https://www.digitalcorner-wavestone.com/2020/06/la-5g-introduction-et-presentation-generale-des-concepts-techniques/

[2] ARCEP : Autorité de Régulation des Communications Electroniques, des Postes et de la distribution de la Presse

[3] Service Level Agreements

[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1389128619304773

[5] MNO et MVNO : Les MNO, ou Mobile Network Operator, sont les opérateurs téléphoniques les plus connus comme en France Orange, Bouygues Telecom, ou SFR. Ils possèdent leur propre infrastructure réseaux et des bandes fréquences achetés auprès d’autorités étatiques. Les MVNO, ou Mobile Virtual Network Operator, empruntent les infrastructures réseaux des MNO pour proposer leur offre de service de connectivité.

[6] https://www.vertical-m2m.com/fr/ressources-iot/fin-de-projets-europeens-5g-nous-sommes-pr%C3%AAt-pour-l-iot-5g

[7] Coopération d’organismes de normalisation des réseaux télécom

[8] https://stlpartners.com/articles/telco-cloud/what-is-5g-network-slicing/

[9] https://www.ericsson.com/en/blog/2021/5/network-slicing-a-usd-200-billion-opportunity-for-csps

[10] Global System for Mobile Communications : Organisme de plus de 750 opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile

[11] https://www.ericsson.com/fr/news/2021/4/airbus-private-cellular-network)

[12] https://5glab.orange.com/fr/

 

 

 

 

 

 

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