Terres rares, éléments clefs de la transition numérique

Lanthane, praséodyme, néodyme, samarium, dysprosium… ces noms d’éléments chimiques sont peu connus, et pourtant, ils sont omniprésents dans les nouvelles technologies. Ils sont plus connus sous le nom de terres rares et sont au nombre de 17. Ils sont si importants qu’ils font l’objet d’une attention particulière du Comité pour les Métaux Stratégiques (COMES) créé en 2011 afin de sécuriser leur approvisionnement. Nous vous proposons un aperçu de leur utilisation et des enjeux d’accès à ces ressources.

 

Quelle utilisation des terres rares ?

Figure 1 : Les composants d’un iPhone 6. Source : Damien Hyppolite pour Science et Avenir

 

Les propriétés de ces métaux sont nombreuses. Ils produisent l’étincelle des briquets, peuvent servir de simples colorants pour verres et céramiques, et, intégrés dans nos téléviseurs, ce sont eux qui permettent l’affichage des couleurs. Plusieurs sont recherchés pour leurs propriétés magnétiques dans la fabrication d’aimants, ainsi que pour leurs propriétés semi conductrices dans les technologies du numérique. Par rapport à des aimants classiques constitués de ferrite, les terres rares permettent de produire des aimants jusqu’à dix fois plus petits pour une puissance équivalente[1] ! Ces aimants servent ensuite, entre autres, dans les moteurs des têtes de lecture/écriture des disques durs. Autant dire qu’ils sont partout.

Figure 2 : Répartition de l’utilisation des terres rares en 2015[2]

 

Vous souvenez-vous des téléphones portables d’il y a 30 ans ? Ils ne tenaient pas dans nos poches. L’utilisation des terres rare a permis de miniaturiser les composants nos portables tout en augmentant leur puissance de calcul, ce qui a rendu possible la création de smartphones de la puissance d’un ordinateur.

La transition énergétique est également demandeuse de terres rares. Une éolienne à aimant permanent de 3,5MW peut contenir jusqu’à 600kg de terres rares, notamment néodyme, terbium et dysprosium, qui font partie des terres rares les plus critiques (le nom dysprosium vient du grec δυσπρόσιτος « difficile à obtenir »). En réalité, la majorité des éoliennes sont fabriquées avec des électroaimants qui eux ne nécessitent pas de terres rares. Ce sont les éoliennes offshores qui pourraient amener une forte demande : une éolienne à aimant permanent fabriqué avec des terres rares demande peu de maintenance, ce qui est préférable pour l’offshore afin de limiter les coûts d’exploitation[3].

Ainsi, les terres rares sont omniprésentes dans notre monde moderne. Ce sont en grande partie elles qui ont permis les progrès technologiques dans le numérique et les énergies renouvelables. Les industries produisant ces technologies en sont donc logiquement très friandes, et l’accès à ces ressources est un enjeu stratégique clef.

 

Etat des lieux de la production dans le monde

Contrairement à ce que leur nom laisse penser, les terres rares ne sont pas rares. Les terres rares portent ce nom car lors de leurs découvertes au XVIIIème siècle, elles étaient associées à des minerais (le terme consacré à l’époque était « terre »), et étaient peu courantes à l’époque. Il ne faut donc pas les confondre avec les « métaux rares » (qui eux portent bien leur nom !), même si certaines terres rares sont des métaux rares, comme le néodyme. Toutefois, elles sont très inégalement réparties sur Terre et sont associées dans la croûte terrestre à d’autres minerais dont il est difficile de les séparer notamment en raison de leur faible concentration. Extraire des terres rares demande donc une quantité colossale d’énergie puisque ce sont parfois des milliers de tonnes de minerai qu’il faut traiter pour obtenir quelques tonnes de terres rares.

Une idée reçue commune est que la Chine possède l’essentiel des réserves mondiales de terres rares. Cette affirmation est à nuancer : en effet, la Chine n’en possèderait que 30% à 50% selon les sources. Des réserves, et même des mines en exploitation existent ailleurs dans le monde, nous citerons par exemple l’Inde, le Brésil les Etats-Unis, l’Australie, ou encore l’Afrique du Sud.

Si contrairement aux idées reçues les terres rares ne sont pas rares et existent ailleurs qu’en Chine, pourquoi alors tant de bruit ? La Chine ne possède en effet pas toutes les terres rares, mais elle concentre leur production, puisqu’elle produit à elle seule 85% des terres rares consommées actuellement (Figure 3). L’enjeu est donc principalement géopolitique : la Chine est aujourd’hui incontournable pour s’approvisionner en terres rares. Bien qu’il existe de nombreux gisements de terres rares dans le monde, ils ne sont pas (encore) exploités, ce qui explique la mainmise de la Chine sur ces ressources. Or, il faut environ 25 ans entre le début d’un projet de mine et le début de son exploitation. Nous sommes donc dépendants à court terme de la volonté chinoise de fournir le monde en terres rares puisque la mise en production d’autres gisements demande un temps long et incompatible avec les cycles industriels. La Chine s’en est d’ailleurs servi comme levier de pression dans le cadre des tensions avec le Japon à propos des îles Senkaku/Diaoyu. Après un incident en 2010 entre un navire chinois et un navire japonais dans les eaux de ces îles, les japonais virent leur approvisionnement en terres rares coupé du jour au lendemain. Cela représenta une catastrophe pour l’industrie high tech nippone [1]. Plus récemment, la Chine s’est permise de rappeler au monde son contrôle des terres rares, ce qui fut perçu comme une menace très sérieuse[4].

Il existera peut-être un jour un épuisement des réserves mondiales, mais l’enjeu à court terme est bien les relations que nous entretenons avec l’empire du milieu.

 

Figure 3 : Part de la production de terres rares dans le monde en 2016[5]

 

Quelques pistes pour diminuer la dépendance envers la Chine

Afin de pallier aux problèmes d’approvisionnement et réduire sa dépendance envers la Chine, la France mise sur la recherche de substituts aux terres rares et sur le recyclage[6] en complément de la diversification de ses sources d’approvisionnement.

Certaines technologies arrivent à substituer les terres rares. Par exemple, le véhicule électrique : certains constructeurs comme Toyota utilisent du néodyme dans la construction de leurs modèles électriques, tandis qu’à l’inverse, Renault est parvenu à s’en affranchir pour la Zoé.

Dans le cas des technologies de l’information et de la communication (TIC) les substitutions sont difficiles voire impossibles : cela demanderait de revoir complètement les produits[7]. L’un des intérêts principaux des terres rares dans les TIC est de miniaturiser les composants. Elles permettent donc d’avoir des systèmes embarqués très performants dans nos téléphones, les véhicules connectés, et même l’armement.

L’indépendance pour l’approvisionnement en terres rares passe donc en partie par le recyclage. Toutefois, les terres rares sont présentes dans les TIC dans des proportions infimes : 0,06g dans un téléphone mobile, 2,4g dans un ordinateur portable, 0,07g dans un écran plan de 32 pouces[8]. La difficulté dans le recyclage est donc d’isoler les terres rares des autres composants de ces appareils, cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin ! Il y a donc d’importants défis de R&D à relever pour permettre un recyclage économiquement rentable et respectueux de l’environnement. C’est par exemple le but du projet EXTRADE coordonné par le Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM) et financé par l’Agence Nationale de la Recherche, qui vise à améliorer les techniques de recyclages des terres rares contenues dans les disques durs, les hauts parleurs des enceintes, les petits moteurs électriques des TIC et les petits appareils électroménagers. Une autre piste explorée par l’Europe est la valorisation des déchets des mines européennes pour produire des terres rares sur son territoire. Ces déchets sont nommés « stériles » car leur concentration en terres rares est trop faible pour présenter un intérêt. Le projet Enviree, financé par la Commission Européenne, a justement pour objectif la recherche de technologies permettant de les exploiter.

 

Impacts environnementaux

L’industrie des terres rares connait un autre défi à relever : le respect de l’environnement. L’extraction de ces métaux implique des procédés chimiques nécessitant des quantités colossales d’eau et de produits chimiques et toxiques. Ces procédés rejettent même des produits radioactifs ! L’exemple de la plus importante région minière spécialisée dans l’extraction des terres rares en Chine, aux environs de la ville de Baotou, est frappant. On y mesure une radioactivité plus de deux fois supérieure à celle de Tchernobyl[9]. Les légumes ne poussent plus, le bétail meurt, et les habitants respirent des vapeurs nocives[10].

Cet exemple est cependant à nuancer, la Chine n’étant pas réputée pour prêter la même attention au respect de l’environnement sur son sol que les pays européens [1]. L’exploitation de mines dans des pays ayant des normes environnementales strictes permettrait donc d’atténuer fortement l’impact de l’exploitation des terres rares. C’est le défi à relever pour tendre vers une Green Tech.

 

Références

[1] G. Pitron, La guerre des métaux rares.

[2] B. Zhou, Z. Li et C. Chen.  https://www.mdpi.com/2075-163X/7/11/203.

[3] Décrypter l’énergie : https://decrypterlenergie.org/la-rarete-de-certains-metaux-peut-elle-freiner-le-developpement-des-energies-renouvelables.

[4] Atlantico : https://www.atlantico.fr/decryptage/3548028/guerre-commerciale-la-chine-rappelle-a-toutes-fins-utiles-qu-elle-a-desormais-le-controle-du-marche-mondial-des-terres-rares-jean-marc-sylvestre-.

[5] World Mining Data : http://www.world-mining-data.info/wmd/downloads/XLS/6.5.Share_of_World_Mineral_Production_2016_by_Countries.xlsx.

[6] OPECST : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-off/i3771-tI.pdf.

[7] BRGM : http://www.mineralinfo.fr/actualites/extraction-terres-rares-dechets-equipements-electriques-electroniques-deee-journee.

[8] Project EURARE : http://promine.gtk.fi/documents_news/promine_final_conference/8_50_PASPALIARIS_EURARE_project_promine.pdf.

[9] Géo : https://www.geo.fr/environnement/definition-terres-rares-scandium-yttrium-et-lanthanides-124433.

[10] Le Monde : https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/07/19/en-chine-les-terres-rares-tuent-des-villages_1735857_3216.html.

 

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