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L’art à l’ère digitale (1/2) : une révolution dans l’expérience de l’art

En 1935, Walter Benjamin s’inquiétait de l’impact de la technologie sur l’art : la reproductibilité transformait selon lui l’essence de l’œuvre et par ricochet, la manière dont elle était perçue. Avec l’essor du digital, il semblerait que le mouvement de transformation de l’art par la technologie ne cesse de s’accélérer. Mais alors que Benjamin avait une vision pessimiste de la transformation, soutenant que la technologie affaiblissait la puissance et l’aura de l’œuvre, on peut aujourd’hui voir dans le digital de nouvelles opportunités d’expérimentation artistique, et une occasion de démocratiser l’art en rendant l’accès aux œuvres plus facile.

Avant d’entrer dans le sujet de la production artistique et de l’art digitalisé, ce premier article explore comment de nouvelles technologies permettent de diffuser l’art, de rendre son exposition plus interactive, ou encore de conserver le patrimoine qu’il représente.

Les visites virtuelles de musées

Si l’art et la technologie ont été amenés à se rencontrer, on peut imaginer que les GAFA étaient au rendez-vous. Dans le domaine, c’est Google qui est aujourd’hui aux premières loges avec son Art Project, et plus largement, Google Arts & Culture. Lancé en 2011, le Google Art Project s’attaquait à un des grands obstacles à la diffusion de l’art : la localisation géographique de l’œuvre. Cassant les frontières physiques via le digital, Google permet à n’importe quelle personne disposant d’internet, de visiter virtuellement des collections internationales telles que celles du MoMA à New York, de la National Gallery de Londres, ou encore du musée d’Orsay. Sous l’égide du Google Cultural Institute, ces visites sont proposées sous un format similaire à Google Earth. La base s’accroit constamment : Google compte à son actif plus de 1200 collaborations avec musées et institutions culturelles, ce n’est par exemple pas plus tard que la semaine dernière, que le Musée d’Art de Sao Paulo a été ajouté à la liste, regroupant une visite virtuelle du musée, 6 expositions, et 1019 éléments de la collection.

Le format de visite virtuelle en ligne se généralisant, l’étape suivante sera l’immersion totale dans l’exposition. On compte déjà quelques premières implémentations, à l’instar de l’expérimentation en cours par DiMoDa. Lancé en 2015, ce Musée Digital des Arts Digitaux a pour vaste objectif d’étendre et d’améliorer l’expérience de l’art digital dans des espaces virtuels. Il est conçu comme un outil au service des artistes et des institutions artistiques. Le principe ? La plateforme est accessible via un casque de réalité virtuelle, pour une expérience totalement immersive dans l’art numérique. Témoignage, donc, du fait que la technologie peut être mise directement au service de l’art.

 

L’archivage 2.0

Cette diffusion d’expositions ou de collections a une portée foncièrement démocratique : permettre un accès toujours plus libre à des contenus artistiques, dont l’expérience était auparavant réservée à des populations plus restreintes. Par cela, la digitalisation sert également un autre but : celui de préserver les œuvres et le patrimoine. Le digital apporte des outils très puissants pour l’archivage de l’art, un enjeu majeur dans le secteur culturel. C’est d’ailleurs dans cette optique que Google a étendu son projet à la conservation de documents : l’Institut Culturel a permis la collection virtuelle de centaines de milliers d’œuvre et documents.

En-dehors de pure players digitaux tels que Google, ce type d’initiatives émane aussi directement d’institutions culturelles, voir même d’instances nationales ou multinationales. On peut ici penser à l’exemple d’Europeana, une initiative européenne dédiée à la conservation, se présentant comme le portail numérique du patrimoine européen. Autre exemple, le Metropolitan Museum de New York investit depuis de nombreuses années dans le digital pour ses archives, et a même ouvert l’accès à ses 375 000 images, dans une logique d’open data. Finalement, parmi les projets de grande ampleur associés à la conservation et l’archive, on peut citer la récente finalisation de la capture numérique de la chapelle Sixtine, à travers plus de 270 000 photographies et 5 années de travail.

Et l’intérêt du digital ne réside pas seulement dans la numérisation, mais aussi dans l’utilisation qu’on peut ensuite faire de ces archives, en les couplant à d’autres technologies. Injectant notamment de l’intelligence artificielle dans ces collections de contenus, Google travaille actuellement sur des technologies permettant d’analyser et de comprendre une œuvre, pour catégoriser de la manière la plus fine possible ces immenses bases d’archives. Aussi, on peut imaginer que demain, les collections numériques seront couplées à des technologies de blockchain pour suivre en temps réelle des informations sur les œuvres originales, comme leur provenance.

 

Des expositions augmentées et une médiation nouvelle

Ainsi, le numérique a participé à une certaine démocratisation de l’art en rendant des contenus plus largement accessibles, que ce soit dans un objectif de diffusion ou de conservation. Outre cette expérience entièrement virtuelle, la technologie peut aussi être au service de l’art au sein même des lieux physiques d’exposition, en y apportant une nouvelle forme d’interactivité, et en engageant donc plus les publics.

L’entrée du digital dans le « cube blanc » peut tout d’abord servir la fluidité d’une exposition. Au Brooklyn Museum, le choix s’est porté vers les beacons. Plus de 150 capteurs ont été dispersés dans le musée et connectés à une application mobile dédiée. Celle-ci permet à tout visiteur de poser des questions à des commissaires, et de recevoir une réponse en temps réel. Le visiteur est géolocalisé, permettant au commissaire de contextualiser les questions, et d’y répondre de la manière la plus fine et exacte possible. D’autres institutions comme la Fondation Louis Vuitton et le Louvre ont également opté pour une géolocalisation des visiteurs via une application mobile pour améliorer l’expérience. Par ailleurs, Google s’est encore une fois immiscé dans le domaine, plaçant sa compétence technologique au services des musées : le Lab de l’Institut Culturel offre depuis fin 2014 la possibilité à des institutions artistiques de créer leurs propres applications mobiles via une plateforme dédiée, dans l’objectif de généraliser la pratique. La Monnaie de Paris a notamment bénéficié de ce service.

Une dernière technologie, très à la mode en ce moment dans tous les domaines, qui s’immisce dans les galeries des institutions culturelle, est le chatbot. A Buenos Aires,  les visiteurs du MAMBA peuvent poser toutes leurs questions à une intelligence artificielle via Facebook Messenger, rendant les visites plus accessibles. De quoi, peut-être, attiser l’intérêt des millenials pour les visites de musées.

 

Vers des manières nouvelles de voir, percevoir et faire de l’art ?

Malgré leur attrait, certaines institutions se refusent encore à utiliser de tels dispositifs qui selon elles, polluent les espaces d’exposition. L’expérience digitale de l’art représente d’une certaine manière un nouveau paradigme, une nouvelle vision de l’art.  Un tel outillage va même jusqu’à inverser certains rapports de force : dans un espace souvent perçu comme élitiste, et caractérisé par une logique d’apprentissage descendante, le visiteur devient désormais plus facilement maître de sa propre expérience. Il peut aller chercher les informations qui l’intéressent, aux moments où elles l’intéressent. L’enjeu reste donc pour les musées de s’approprier ce nouveau paradigme, et s’assurer que cette médiation nouvelle n’altère pas l’expérience de l’œuvre authentique.

Une œuvre authentique qui, d’ailleurs, est elle aussi transformée par la technologie : c’est le sujet que nous explorerons dans un deuxième volet…

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