Les objets connectés au service de la santé : votre smartphone bientôt remboursé par la Sécurité Sociale ? [2/3]

Après plusieurs centenaires de patientes observations et expérimentations, la recherche médicale pourrait bien connaitre une révolution avec l’avènement des objets connectés et du Big Data. Que ce soit par la multiplication des dispositifs médicaux de mesures ou les possibilités des smartphones, jamais les chercheurs, médecins et industriels du médicament n’ont eu autant de données à analyser pour faire progresser la médecine.

Consciente du potentiel de ces informations médicales personnelles, la start-up parisienne Ad Scientiam s’est spécialisée dans le développement d’applications mobiles destinées à la récolte et à l’interprétation des données de santé.

Nous avons rencontré deux de ses fondateurs, Benjamin Pitrat, psychiatre et addictologue et Directeur Scientifique de Ad Scientiam, et Amaury Larreur, CTO, pour qu’ils nous apportent leur éclairage sur la réalité, les dynamiques, les acteurs et surtout les enjeux du marché des données médicales personnelles.

Dans cette deuxième partie, nous nous intéressons aux problématiques technologiques que rencontrent les hôpitaux, qui doivent sans cesse faire évoluer leur SI pour intégrer de plus en plus d’objets connectés.

Pour retrouver la première partie de cet entretien, rendez-vous ici.

De nouveaux objets connectés dédiés à la santé sortent tous les jours. Comment expliquer le dynamisme dans ce secteur?

C’est un milieu qui évolue à la semaine, chaque semaine de nouvelles start-ups, de nouvelles applications et de nouveaux objets e-santé apparaissent” déclare le Docteur Pitrat. L’évolution technologique est très disparate et plusieurs facteurs l’expliquent.

D’abord, on a assisté ces dernières années à une diminution du prix des appareils connectés en général. Tester en conditions réelles une application innovante est donc de moins en moins cher, les barrières à l’entrée du marché s’affaissent, et de nombreuses start-ups franchissent alors le pas et se lancent dans l’aventure.

Mais encore une fois, la situation des Etats-Unis et de l’Europe est très différente.

En Europe, l’innovation dans le domaine de la santé était historiquement portée par les laboratoires pharmaceutiques. Mais à cause d’un écran éthique (disposition légale qui oblige les laboratoires de recherches des sociétés qui commercialisent les médicaments à ne pas appartenir au même groupe), l’innovation s’est diluée et ne fait plus vraiment partie de l’ADN des laboratoires comme Sanofi ou Servier.

Ajoutez à cela d’autres cadres légaux qui pèsent sur les sociétés historiques de la santé et ralentissent l’innovation et vous comprenez aisément pourquoi, en Europe, ce sont des start-ups dynamiques et plus libres dans leur champ d’action qui sont moteurs des progrès technologiques dans la santé connectée.

Aux Etats-Unis en revanche, la recherche est davantage portée par de grosses sociétés, comme on l’a dit précédemment, les HMO et hôpitaux universitaires sont à la pointe du développement de ces nouvelles technologies, et les start-ups à succès ne tardent pas à se faire racheter par de grandes sociétés très friandes d’innovations.

logo_fdaDe plus, la FDA (Food and Drug Administration) a émis un standard sur la classification des objets de santé qui libère de certaines contraintes légales un grand nombre d’objets connectés et les rendent utilisables dans le domaine de la santé.

La porte est donc grande ouverte pour l’innovation aux Etats-Unis et connaissant le poids des standards émis par la FDA (qui font souvent autorité dans le monde entier), il est probable que l’on observe une évolution similaire des régulations européennes.

 

Avec la multitude d’objets qui apparaissent, il y en a forcément qui présentent plus d’intérêt médical que d’autres. Quelles sont, selon vous, les innovations technologiques les plus crédibles et les plus intéressantes ?

Ad Scientiam paraît très crédible“, plaisante le Docteur Pitrat, “il y a aussi BioSerenity qui fait du suivi et diagnostic de l’épilepsie à domicile grâce à des vêtements connectés“.

Au-delà de ces exemples, il y a véritablement 3 grandes familles technologiques qui se dégagent.

Applications mobiles

La récolte de données par le smartphone est la méthode la plus répandue. C’est d’ailleurs le principe de base d’Ad Scientiam. L’usage du smartphone étant complètement implanté dans la société, il n’y a que très peu de temps d’adaptation pour le grand public.

On remarque d’ailleurs que les premières applications de Quantified Self ont émergé directement sur le smartphone, en se passant des objets connectés. Même si les montres et bracelets connectés se sont révélés des relais efficaces pour populariser l’utilisation de ces applications, la technologie se trouve bien dans le logiciel, qui récolte les données, les interprète et les met en forme.

L’évolution de ces applications vers l‘e-santé est donc tout à fait naturelle et durable car déjà acceptée par le grand public.

Modernisation des équipements médicaux existants

Cathéters veineux, prothèses, pacemakers : nombreux sont les dispositifs installés à l’intérieur même des patients. Il est souvent impossible de connaître leur statut en temps réel, et leur entretien est coûteux et nécessite de récurrentes visites à l’hôpital, parfois de la chirurgie.

Avec l’émergence des réseaux bas débit comme SigFox ou LoRa qui permettent à des objets d’embarquer des moyens de communication miniaturisés, il paraît évident que ces appareils médicaux pourront de plus en plus transmettre des informations, être paramétrés à distance ou même lever des alertes en temps réel sur une dégradation de l’état de santé du patient.

Il reste néanmoins des freins, comme les risques de rejet des composants électroniques, mais le marché pour ces objets existe déjà et les bénéfices sont immédiats pour le patient (moins de visites à l’hôpital) et pour le médecin (surveillance en direct de l’état du dispositif). Leur avenir est donc assuré.

Invention de nouveaux objets connectés

Quels que soient les objets qui vous entourent, soyez surs qu’aujourd’hui, quelqu’un est en train de travailler à le rendre communiquant. Gilets connectés, chaussures connectées, tout y passe et certains sont des dispositifs créés pour la santé. Bien sûr, certains ne seront au final que des capteurs, intégrés dans des objets du quotidien et reliés au smartphone pour une utilisation récréative, mais d’autres, comme le t-shirt connecté, ont sans aucun doute un véritable intérêt médical. On pense notamment à l’hospitalisation à domicile avec le t-shirt Body Connect qui permet de surveiller les signes vitaux à distance.

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La technologie « smart sensing » permet une serveillance à distance des signes vitaux d’un patient

Ce marché est le plus incertain, il est difficile de prédire aujourd’hui quels objets iront vers une adoption massive, ou finiront relégués au rang de gadgets.

Les hôpitaux vont donc devoir absorber d’énormes quantités de données qu’il leur faudra traiter, interpréter et utiliser. Leurs Systèmes d’Information sont-ils prêts à recevoir ces nouveaux flux ? Ont-ils déjà des moyens de les utiliser ?

Les Systèmes d’information de santé actuels ne sont pas conçus pour gérer seuls l’incroyable quantité de données qui vont être à leur disposition. Il est indispensable de procéder à leur adaptation et de garantir une meilleure interopérabilité afin d’organiser le stockage et l’exploitation des données à grande échelle pas seulement au sein des hôpitaux.

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Les datacenters des géants du net compteront bientôt des hôpitaux dans leurs clients majeurs

La plupart des entreprises en France ne possèdent pas de Datacenter dédiés et les hôpitaux n’ont clairement pas les moyens de financer la construction de telles infrastructures. Il faudra donc recourir à la location d’espaces dédiés dans des Datacenter existants pour héberger ces nouvelles données.

Dans ce domaine, les acteurs sont déjà bien établis et connus : OVH, Amazon, etc. Les offres d’hébergement développées par ces entreprises sont flexibles et optimisées en termes de coût. De quoi largement satisfaire aux futurs besoins d’hébergement des hôpitaux.

Mais au-delà de l’enjeu matériel, il y a également un enjeu humain. En effet, pour interpréter toutes ces données il y aura besoin d’analystes. Dans les pays ayant déjà entamé leur transition vers la santé numérique, le ratio de personnel informatique par rapport au reste du personnel hospitalier est de 2 %. En France nous ne sommes qu’à 0.4%, il y a donc encore du travail nécessaire à ce niveau.

Avec un niveau de médecine clinique et de recherche médicale mondialement reconnu, il serait dommage que la France rate son entrée dans l’ère de l’hôpital numérique à cause d’un manque de ressources humaines. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie, des grands programmes nationaux de modernisation de l’hôpital ont été accompagnés de nouveaux cursus de formation pour apporter à l’informatique de la santé le personnel adapté.

Les objets connectés débarquent avec force dans le monde de la santé en apportant avec eux toujours plus d’innovations technologiques et promettent de révolutionner le parcours médical et la relation patient-médecin. Mais ils arrivent dans des hôpitaux Français qui ne les attendaient pas vraiment et qui vont devoir s’adapter rapidement sous peine de rater le virage numérique que d’autres pays ont déjà bien entamé.


Location de serveurs dans des datacenters, nécessité de personnel informatique de plus en plus qualifié, les hôpitaux se transforment et ont des besoins informatiques en constante augmentation pour faire face au flot de données générés par les objets connectés. Et c’est sans parler des problématiques de sécurisation de toutes ces données confidentielles, qui nécessitent des ressources humaines et matérielles encore rarement à la portée des institutions de santé.

Des objets connectés qui, eux, se diversifient et deviennent parfois invasifs avec des vêtements qui se portent au quotidien ou encore des objets placés directement dans le corps des patients. Ces objets posent des questions éthiques importantes :

  • Quelles sont les risques de voir ces objets détournés de leur but premier ? Le trafic généré est-il vraiment sécurisé ? Peut-il être intercepté ?
  • Jusqu’où peut-on aller dans l’exploitation des données de santé ? A qui les révéler ?
  • Quelles sont les dérives possibles (assurances santé refusée à cause des données recueillies par exemple) et comment les prévenir ?
  • Le secret médical a toujours été un sujet très sensible en France, comment le concilier avec ces montagnes de données personnelles générées par les objets connectés ?

Tous ces enjeux sociaux qui découlent de ces nouvelles technologies seront abordés dans la troisième et dernière partie de cet entretien.


A propos d’Ad Scientiam

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Ad Scientiam est une start-up qui prend actuellement ses quartier dans l’incubateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (lien : http://icm-institute.org/fr/) de la Pitié Salpétrière. Leur but premier, comme le déclare Benjamin Pitrat, c’était de « se servir du smartphone pour faire de la recherche sur les données en vie réelle ». Les données en vie réelle, ce sont toutes ces actions que vous faites lorsque vous êtes malade après avoir vu un médecin (prise de médicament, évolution de la maladie au jour le jour, etc.).

« Nous nous sommes développés grâce à la recherche », déclare M. Pitrat, mais le but final d’Ad Scientam, c’est de « développer un véritable outil de suivi et d’aide au parcours de soin du patient ». Une application complète dans laquelle on ajoutera des modules (validés par la communauté scientifique) en fonction de ses besoins (suivi du sommeil, suivi de la glycémie, tension artérielle, communication temps réel avec son médecin, etc.).

Grâce à cette application « le patient est remis au centre de sa santé » conclut Amaury Larreur.

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