Free : les effets collatéraux du low cost

En mettant sur le marché ses offres low cost en janvier dernier, Free Mobile a lancé un pavé dans la mare du monde de la téléphonie mobile proposant des offres à des prix défiant toute concurrence.

Si les consommateurs ne peuvent en tirer que satisfaction, les concurrents tirent la grimace et sont fortement impactés.
Cette nouvelle concurrence engendrerait des effets collatéraux importants en particulier en termes d’emplois chez les concurrents …

L’arrivée d’un opérateur « Low cost » est-elle finalement une bonne nouvelle pour l’économie ?

Free en pleine santé

Lancée le 10 janvier, l’offre de Free est un défi lancé à  la concurrence avec son offre de base à 2€ (0€ pour les abonnés Freebox) et une offre illimitée à 19€99 (15€99 pour un client Freebox) qui ne pouvait que séduire les usagers.

Le succès est impressionnant : 3,6 millions d’abonnés en six mois, soit 5,4% du marché mobile national.
Dans un communiqué de presse, le groupe montre son ambition en visant une part de marché de 15% à moyen terme et 25% à long terme.

Parallèlement à sa croissance sur le marché de la téléphonie mobile, le fournisseur d’accès a également enregistré une forte progression dans son activité fixe en recrutant 298 000 nouveaux clients sur les 6 premiers mois ce qui lui permet d’afficher des résultats supérieurs aux attentes du marché.

Malgré une perte opérationnelle de 44 millions d’euros sur son activité mobile, le chiffre d’affaires du groupe a progressé de 9% pour atteindre 1,13 milliard d’euros et son Ebitda a augmenté de 11% à 462 millions.

Par ailleurs, Free a le vent en poupe auprès des consommateurs.
Il a ainsi obtenu la meilleure note devant Orange, SFR, Numericable et Bouygues Télécom lors d’une enquête de satisfaction menée en juillet 2012 par le magasine 60 Millions de consommateur sur 5  000 de ses abonnés.

Free a ainsi totalement bouleversé le marché de la téléphonie mobile : il a conquis un nombre important de clients en un temps record et a surtout très nettement abaissé le prix du forfait moyen.
Les impacts économiques que cela engendre sont loin de se limiter au coût du forfait pour le consommateur.

Des incidences macroéconomiques fortes sont ainsi observées.

Un effet positif sur la consommation, mitigé sur l’investissement

En proposant des offres à si bas coût, Free augmente le pouvoir d’achat des usagers, au moins à court terme, d’où un effet positif probable sur  la consommation : je peux dépenser ailleurs ce que j’ai économisé…

En revanche, en termes d’investissement, 2 hypothèses opposées peuvent être établies.

  • Première hypothèse :

Les opérateurs considérant que l’univers est de plus en plus concurrentiel décident de diminuer leurs dividendes et de privilégier l’investissement en particulier en déployant rapidement leurs nouveaux réseaux pour permettre de différencier leurs offres par la qualité plutôt que par le prix .
C’est par exemple ce qui a pu se produire avec l’investissement qui a été fait en particulier par SFR et Orange sur la 4G.

  • Deuxième hypothèse:

En vue de pallier à leur baisse de revenu les opérateurs décident de limiter leurs investissements, limitant ainsi les dépenses.
Une telle attitude pourrait favoriser l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché français et européen en particulier les géants américains.

Ainsi, comme le souligne Yves Gassot, directeur général de l’Idate : « le niveau d’investissement des opérateurs européens est inférieur de 4 à 5 points à celui de leurs concurrents américains. Permettre une consolidation autour de 7 ou 8 gros acteurs paneuropéens favoriserait autant la concurrence sur les prix, mais renforcerait l’Europe face au principal défi d’avenir : ne pas laisser les géants américains Facebook, Apple ou Google capter toute la valeur du web mobile ».

En synthèse, la baisse des coûts des forfaits mobiles peut donc être un levier de croissance économique si le consommateur réinvestit l’économie réalisée pour consommer.
En revanche, si les usagers épargnent les montants économisés, ceci à un effet néfaste sur la croissance en diminuant la circulation de la monnaie.
L’expérience a montré qu’en période de crise, le consommateur a tendance a adopter un comportement plus sécuritaire et à davantage épargner que dépenser.

En ce qui concerne l’investissement, il est très difficile d’anticiper le comportement qu’adopteront les opérateurs : politique de rigueur ou investissement pour être compétitif ?

Des effets néfastes sur les concurrents ?

La perte de clients

Attirés par la nouvelle offre low cost de Free, de nombreux consommateurs se sont empressés de changer d’opérateur pour passer chez Free Mobile dans l’objectif premier de faire des économies.

Ainsi 615 000 clients ont quitté Orange au premier semestre 2012, Bouygues Télécom accuse une perte de 379 000 clients. SFR semble être le plus touché en perdant 620 000 clients.

Les opérateurs virtuels (MVNO) perdent de leur côté 90 000 clients.

Notons tout de même que, malgré quelques efforts avec les lancements de Sosh et B&YOU, les opérateurs ont été très prudents sur leurs offres et ce manque d’agressivité a eu un fort impact sur le consommateur : Free a eu le champ libre pour apparaître comme le « Robin des bois » du mobile.

La perte de bénéfices

Au delà d’une diminution du nombre de clients, la diminution de l’ARPU (revenu moyen par utilisateur) a un impact direct sur le chiffre d’affaire.

En effet, afin de concurrencer le nouvel entrant, les concurrents ont alignés leurs nouvelles offres sur les tarifs de Free (ou du moins en se rapprochant). Ainsi, le prix du forfait moyen chez les différents opérateurs a nettement diminué.

Ainsi, l’excédent brut d’exploitation de Bouygues Télécom a plongé de 16% sur les six premiers mois de l’année 2012, celui de SFR a baissé de 5%. Bouygues télécom s’attend à une chute globale de 30% sur 2012 et SFR prévoit un recul de 12 à 15%.

Au premier semestre, la filiale de Vivendi a limité la casse sur le plan commercial et financier : ses bénéfices n’ont baissé « que » de 10%, quand ceux de Bouygues Telecom se sont effondrés de 34,5%.
Selon les analystes financiers, SFR craindrait, dans son scénario le plus noir, avec un segment low cost prenant 50% du marché, de voir ses profits chuter à l’horizon 2015 à 200 millions d’euros, contre 1,4 milliard en 2011.

Quant à Orange, l’arrivée de Free sur le marché français du mobile (qui représente encore un quart des résultats opérationnels de France Télécom ) a plombé la rentabilité du groupe. La crise économique en Europe, les besoins d’investissements dans les nouveaux réseaux tels que la 4G ou la fibre optique et une structure de coûts peu flexible font le reste. Résultat : un plongeon de l’action de 22 % depuis janvier.
Un point positif tout de même : Orange est le seul opérateur à bénéficier de son contrat avec Free pour l’itinérance, et cet avantage est juteux (plus d’un milliard d’euros au départ, il serait en forte augmentation).

Réduction d’emplois chez les concurrents ?

En réponse à ces pertes financières et par anticipation d’un avenir peu optimiste, les opérateurs ont initié une réduction de leur masse salariale, mettant en particulier en place des plans de départ volontaire.

Le syndicat Force ouvrière (FO) évoque ainsi, dans « le Figaro », « 30.000 suppressions d’emplois sur l’ensemble de la filière« . De son coté l’Arcep (le gendarme des télécoms) fait une estimation plus optimiste. Selon Jean-Ludovic Silicani, son président, « L’ordre de grandeur pourrait être de 5.000 à 10.000 postes supprimés en brut ».

SFR doit dévoiler un plan de redressement fin novembre. Celui-ci engloberait un plan d’incitation au départ d’environ 1.000 postes sur des effectifs de 10 000 salariés environ (contre moins de 500 personnes redouté en mai). L’entourage de la direction a jusqu’à présent laissé entendre que le plan porterait plutôt sur environ 10% des effectifs.

Dans cette même veine, Bouygues Telecom a annoncé un plan de 556 départs volontaires soit environ 5% de son effectif, qui est de 9 800 collaborateurs. Il reposera uniquement sur des départs volontaires et des reclassements au sein du groupe Bouygues. Il n’y aura aucun licenciement contraint dans le réseau de boutiques (2000 collaborateurs) et dans les centres d’appels (2400 collaborateurs), lesquels sont tous en France. Un rapport d’expert a d’ailleurs jugé  » justifié » le plan social proposé par Bouygues Télécom.

De son côté, Orange a assuré qu’aucun plan n’est prévu, mais que les départs à la retraite ne seront pas tous remplacés.

Face au secteur de la téléphonie qui compte entre 130.000 à 170.000 salariés en France, les 900 emplois créés par Free font pâle figure en comparaison du nombre d’emplois supprimés. Pourtant, difficile de mettre cette situation sur le dos de Free uniquement, qui semble parfois être le parfait bouc émissaire pour des opérateurs en difficulté depuis plusieurs années…

L’apparition d’un acteur low cost sur le marché de la téléphonie semble donc avoir des effets aussi bien négatifs que positifs sur l’économie. Difficile avec seulement quelques mois de recul de démêler les impacts complets de Free car les ramifications au sein de très nombreux marchés rendent l’analyse complexe.

Au final, si la réduction satisfait le consommateur en augmentant son pouvoir d’achat, rien ne peut garantir que l’argent économisé sera réinvesti dans l’économie. La réaction des opérateurs en termes d’investissement est toute aussi incertaine dans la mesure ou on ne peut savoir quel sera leur choix entre rigueur et investissement concurrentiel.

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