Fibre optique, la France prend du retard

Si l’ADSL (Asymmetric Digital Subsriber Line) a donné l’opportunité à la quasi-totalité des foyers et entreprises de goûter aux joies du haut débit, si les progrès des technologies xDSL tendent à nourrir les rentes du cuivre téléphonique, ces progrès n’ont rien à voir avec les mutations des usages et la demande croissante en bande passante. Néanmoins, à voir le développement apathique de la fibre optique en France, seule solution technique pérenne dans le long terme, il faut croire que ce constat  n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît.

L’histoire commence en 2009, quand le Gouvernement a fixé l’objectif ambitieux de raccorder 75% des foyers et entreprises français en fibre optique d’ici 10 ans. Deux ans après les discours, les déploiements fibre à l’abonné (ou FttH pour Fiber to the Home) sur notre territoire semblent à la peine. Fin septembre  2011, 1,3M de prises sont éligibles au Très Haut Débit optique sur quelques 30M au total à raccorder. Corollaire du manque de dynamisme des acteurs privés et publics sur le sujet, le marché reste peu éduqué et le taux de pénétration de la fibre reste faible dans l’hexagone, aux environs de 13% (175k abonnés). Pour contrebalancer, le taux de pénétration du voisin suédois atteint les 45% (650k abonnés pour 1,5M éligibles) et celui de la Corée du Sud dépasse les 57%.  La Suède bénéficiant du dynamisme de son modèle de déploiement « Open Access » financé majoritairement par les municipalités / collectivités locales et ouverts à l’ensemble des FAI.

Au final, la lenteur du « processus optique » en France tend à s’expliquer (entre autres) selon deux principaux axes, l’un technologique, l’autre « économico-réglementaire ».

Techno : la fibre cannibalisée par le DSL

En France, l’excellente couverture en DSL du territoire et les débits moyens associés (>5 Mbit/s en majorité) semblent représenter la principale pression exercée sur les déploiements optiques. Ce phénomène de « DSL fort » est renforcé, en outre, par une politique publique actuellement répandue de « montée en débits DSL » à la sous boucle (technique consistant à réduire la longueur de cuivre jusqu’à l’abonné en remplaçant le lien de collecte cuivre situé avant le répartiteur par de la fibre). Plus économique à moyen terme (la couverture de l’ensemble du territoire en DSL amélioré coûterait environ 10 Mds€ vs 30 Mds€ pour de l’optique), cette technique permet en plus aux utilisateurs de bénéficier d’un débit jusqu’à 30 Mbit/s. Débit jugé suffisant par la majorité des abonnés compte tenu des usages actuels (Ex : TV HD à partir de 6 -7 Mbit/s).

En conséquence, les abonnés DSL ne semblent pas prêts à migrer massivement vers une technologie plus coûteuse (~ 3 / 4 € de plus pour un abonnement fibre) et qui peine à se différencier. L’unique force de l’optique véritablement exploitée pour l’heure étant les débits proposés (~100 Mbit/s descendants). Néanmoins, d’après certains experts, le DSL amélioré et les technologies qui en résultent (VDSL* notamment) ne sont pas capables (pérennes) de fournir à long terme la bande passante requise pour supporter les usages en réseaux innovants de type maison connectée, gaming ou encore télétravail collaboratif, autant de futurs drivers de la demande en débits.

En outre, la commission européenne semble prendre la mesure de la force du DSL et les barrières aux déploiements de la fibre. La commissaire chargée du numérique, Neelie Kroes, a évoqué la possibilité prochaine de pousser les opérateurs historiques à baisser leurs tarifs de dégroupage (9€ /mois / abonné). L’objectif final étant de dégrader la rentabilité « confortable » du cuivre et ainsi relancer les investissements dans la fibre, devenue de fait plus compétitive. Les opérateurs historiques, France Télécom en tête, ont vivement réagi à cette annonce, évoquant que la diminution des recettes sur le cuivre aurait pour conséquence une baisse significative des ressources à investir dans les infrastructures optiques.

Réglementaire : les ZMD (les Zones Moins Denses)

Autre point d’achoppement,  les zones réputées « moins denses » (ZMD) qui représentent la majeure partie du territoire et des coûts de déploiements. Afin d’accélérer les déploiements dans ces zones, l’État via le Programme National Très Haut Débit**, donne la possibilité (après déclaration d’Intentions d’Investissements***) aux acteurs privés (et publics) de bénéficier de subventions pour leurs projets (2 Mds€ au total). Cependant, les déclarations « d’intentions » (privées) ne sont pas obligatoirement suivies d’effets et possèdent la particularité de bloquer pour 3 à 5 ans tous les projets publics sur ces zones…

Au final, sur ces ZMD « déclarées privées », la vitesse des déploiements reste faible, les opérateurs concentrant leurs ressources dans le court terme sur les zones denses jugées plus rentables (malgré un taux de pénétration faible ; ex : Paris 1,5M de prises raccordées et moins de 250k abonnés). Toutefois, les récents accords de cofinancements entre Orange-Free / Orange-SFR, portant sur un total compris entre 10 et 15M de prises laissent penser que les déploiements privés sur ces ZMD devraient s’accélérer à partir de 2012. Les opérateurs privés tendant à profiter d’une appétence forte des ménages pour la fibre dans ces zones (parfois 90% de pénétration).

Les FAI à la recherche de sources de financement complémentaires

Le  raccordement optique de l’ensemble du territoire est un processus coûteux et de long terme dont les externalités (retombées) positives devraient impacter en premier lieu le tissu économique national.
Néanmoins, le manque de revenus actuels sur les réseaux optiques et la limitation des ressources à investir en temps de crise poussent les opérateurs à chercher des sources de financements complémentaires.

La taxation des fournisseurs de contenu est une piste depuis longtemps évoquée, dont la rationalité sera évoquée dans un prochain article.

* Very High Bit-rate Digital Subscriber Line

** Guichet A du Programme National Très Haut Débit (Grand Emprunt) destiné aux projets privés et doté de 1 Mds€ / Guichet B destiné aux projets publics et doté de 900M€

*** Appel à Manifestation d’Intentions d’Investissements (AMII)

 

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