Redéfinition du marché du mobile : comment les opérateurs historiques s’adaptent-ils ? (Partie 1)

Alors que depuis le début de l’année Numéricable, Prixtel, La Poste Mobile et bien d’autres ont inondé les médias et le marché de leur nouvelle offre mobile, les trois opérateurs historiques (Orange, SFR et Bouygues Telecom) contre-attaquent, diversifient leurs portefeuilles de marques et proposent de plus en plus d’offres intégrées (quadruple play). L’occasion pour nous de faire le point et de revenir sur les évolutions profondes du marché du mobile français à l’origine des nombreuses initiatives des derniers mois.

Nouveaux standards du marché mobile

Le marché des télécoms français s’est construit autour de trois acteurs possédant toutes les infrastructures techniques nécessaires : Orange, SFR et Bouygues Télécom. Ce sont ces mêmes infrastructures qu’ils louent à des opérateurs virtuels, les MVNO (Mobile Virtual Network Operator). Le marché était jusqu’à fin 2010 relativement calme, avec des opérateurs concurrencés par un nombre limité de MVNO significatifs.

Bien que Virgin ait réussi à se tailler une belle part du gâteau (ayant franchi récemment le cap des 2 millions de clients), le potentiel des MVNO était loin d’être atteint, comme le prouvent l’emballement de la croissance de ce marché (en particulier des offres postpaid) et la nervosité des opérateurs historiques. Alors que les MVNO représentaient environ 2,5 millions d’abonnés à l’été 2009, il a dépassé les 6 millions au 2ème trimestre 2011, avoisinant les 10% de part de marché. On assiste ainsi depuis quelques mois à un regain d’agressivité étonnant qui chamboule le marché et tend à soutenir cette croissance.

Cet emballement est notamment dû aux nouveaux entrants (Numericable, La Poste Mobile, Prixtel) sur le marché qui n’hésitent pas à bousculer les offres et standards du marché. Ils proposent dans un premier temps des offres tout illimité (voix, SMS, data) à prix cassé, le tout avec des forfaits sans engagement et sans subvention des terminaux mobiles. La non-subvention des terminaux notamment, est un point capital à l’origine d’un modèle économique à part entière. En ne subventionnant pas les terminaux, les opérateurs peuvent baisser les prix des leurs forfaits et attirer plus facilement des clients qui ne souhaitent pas forcément changer de mobile (attrait qui est d’autant plus fort de par l’absence d’engagement). Ils profitent aussi d’une évolution d’ordre réglementaire : l’ARCEP (Autorité de Régulation des communications électroniques et des Postes)  exerce une véritable pression sur le marché pour lutter contre l’engagement. De facto, cela favorise les offres des MVNO.

Mais une bonne explication de la nervosité actuelle du marché du mobile en France ne peut se faire sans parler de l’arrivée prochaine d’un quatrième opérateur de réseau : Free Mobile. Très attendu, le trublion du net a déjà fait ses preuves sur le marché de l’ADSL et a su s’imposer avec brio face à ses concurrents en cassant les prix avec son fameux « 29,90 € ». C’est pourquoi il fait si peur aux acteurs du marché mobile, provoquant une agitation sans précédent et une accélération des initiatives.

Enfin, le marché se trouve également impacté par les évolutions des usages clients. Dans un monde de plus en plus connecté, les attentes ne sont plus limitées à de la voix et des SMS. Téléchargement d’applications, réseaux sociaux, vidéo et musique en streaming sont autant d’usages faisant de l’offre data un facteur de poids dans le choix d’un opérateur et d’un forfait. Sur la musique par exemple, les opérateurs se rapprochent d’acteurs de musique à la demande, pour intégrer un accès (limité ou illimité) à un service de musique, à l’image des offres proposées par Orange en partenariat avec Deezer, et depuis peu par SFR et Spotify.

Ainsi, avec des enjeux qui évoluent et des MVNO qui imposent de nouveaux standards, de nouveaux modèles doivent émerger. La réponse des opérateurs historiques est en cours.

Réactions des acteurs

Pour les trois opérateurs historiques, le premier enjeu au milieu de cette panoplie d’offres est de fidéliser les clients chèrement acquis au fil des années précédentes. En effet, si la course aux acquisitions reste d’actualité, la priorité numéro une dans ce contexte de forte concurrence sera de  garder ses clients. Les opérateurs historiques insistent massivement sur la qualité de leur service client par exemple et rappellent que leur présence sur tout le territoire leur offre une proximité avec ceux-ci interdite aux MVNO. Il s’agit également de ne pas laisser les MVNO occuper tout l’espace médiatique. La multiplication des offres a tendance à faire oublier celles des opérateurs et à écorner leur image d’innovateurs.

La réponse des opérateurs historiques aux MVNO prend donc forme depuis quelques mois, selon deux axes. Le premier consiste à capitaliser autour de la relation client et à proposer des offres qui soient adaptées au besoin de chaque client. C’est ce qu’a fait SFR avec ses « Formules Carrées » notamment.

Le second niveau de réponse des opérateurs a été de diversifier leur portefeuille de marques, via le lancement de nouvelles marques en propre, afin d’adresser de manière assez ciblée un segment de client bien précis. Nous parlons bien évidemment ici de B&You, marque de Bouygues Telecom lancée début Juillet, et de Sosh, annoncé par Orange fin juillet et dont le lancement est prévu début septembre. Ces deux marques affichent clairement leur positionnement : commercialisées exclusivement en ligne, elles visent les digital natives – génération ayant grandi dans un environnement numérique – et proposent des offres low-cost très attractives. Elles mettent néanmoins en garde le public visé sur un point important : la relation client a lieu exclusivement en ligne, et mise sur le communautaire.

Ces nouvelles marques reprennent (sous réserve des modalités de Sosh attendues en septembre) les nouveaux standards imposés par les MVNO : aucun engagement pour le client,  pas de subvention des terminaux.

Orange et Bouygues Telecom adoptent donc sur ces marques l’agressivité commerciale des MVNO, tout en visant la potentielle cible principale de Free Mobile (attendu au plus tard pour début 2012),  une population assez technophile. Compte tenu des enjeux gravitant autour de ces nouvelles marques, il y a fort à parier que SFR abatte également ses cartes et lance lui aussi sa marque 100% web dans les prochaines semaines.

Mais si les dirigeants des opérateurs en question assurent que la redéfinition de leur stratégie est engagée depuis bien longtemps et qu’ils n’ont pas attendu Free pour innover, la multiplicité des offres récemment lancées laisse penser que tout cela s’opère avec un certaine fébrilité et que le 4e acteur fait peur. Dans une certaine précipitation. Cela suffira-t-il pour contrer l’arrivée de Free qui se prépare depuis de longs mois ? Sera-t-il réellement efficace d’avoir pris position sur le terrain du 100% en ligne, terrain sur lequel Free a de grandes chances de s’imposer, bénéficiant d’une base de clients ADSL déjà bien fournie et qui sera probablement la cible n°1 à conquérir sur le mobile ? Paradoxalement, alors que les opérateurs chassent sur le marché de Free, ce dernier ouvre ses premières boutiques : véritable atout pour permettre la vente de terminaux, elles vont également ouvrir Free à de nouveaux marchés. La guerre s’annonce sanglante et nous verrons dans un second temps comment chaque acteur se positionne et fourbie ses armes.

2 thoughts on “Redéfinition du marché du mobile : comment les opérateurs historiques s’adaptent-ils ? (Partie 1)

Comments are closed.