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Le « Smart Hospital » est-il réellement l’hôpital de demain en France ?

Article rédigé par Pierre Muller.

 

Dans la logique du programme « Hôpital Numérique » lancée par la Direction Générale de l’offre de Soins en novembre 2011, le dossier patient informatisé (DPI) a été la pierre angulaire de la numérisation des données de santé et de l’hôpital. Avec une information enfin actualisée en temps réel et facile d’accès, le DPI marque un tournant dans le quotidien des professionnels de santé et du patient. Pourtant, en 2017, seulement 60% d’établissements médicaux étaient équipés d’un Dossier Patient Informatisé achevé à 100%[1]. La numérisation à l’hôpital a encore du chemin à parcourir et en pleine pandémie, la pertinence de la mise en place d’un hôpital intelligent (ou plutôt « Smart Hospital »), plus connecté et plus numérique, revient sur le devant de la scène.

Selon l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information (ENISA), l’hôpital intelligent se traduit par « un hôpital qui s’appuie sur des processus optimisés et automatisés dans un environnement numérique avec des objets interconnectés, notamment basé sur l’Internet des objets (IoT), afin d’améliorer les procédures de soins aux patients existantes et introduire de nouvelles fonctionnalités. »[2]. Face aux grands enjeux et défis de santé mondiale et de l’hôpital, le « Smart Hospital », dans cette définition, peut apparaître comme un hôpital uniquement numérique. Cependant, le concept reste encore flou. Existe-t-il en pratique ? Depuis quelques années, des initiatives se rapprochant du concept naissent en France et dans le monde. Pourtant, la définition de l’ENISA parait incomplète. La crise du COVID-19 a mis en évidence un manque de lits, de personnel, de matériel dans notre hôpital. A cette pandémie s’ajoute l’urgence écologique. Défi du XXI siècle, elle presse, en pleine pandémie, les hôpitaux à continuer de réduire leur bilan carbone et leurs déchets. Considérer alors l’hôpital intelligent comme un hôpital purement numérique semble restreint par rapport aux réalités de l’hôpital. Dans quelle mesure se matérialise alors ce concept ? A quoi ressemblera alors l’hôpital de demain ? Le numérique apparait comme une aide pour créer l’hôpital de demain à condition qu’il soit en adéquation avec les enjeux actuels et que les choix politiques aillent dans le sens des enjeux futurs.

 Le « Smart Hospital » est-il réellement l’hôpital de demain en France ?

 

Un état des lieux

Lutte contre les résistances antibiotiques émergentes, maladies bactériennes et virales dévastatrices, obésité, hypertension, vieillissement de la population, sédentarité, défiance envers les vaccins… Les défis de la santé à l’échelle mondiale sont multiples et vertigineux. Dans son discours du 11 mars 2019 sur l’évolution du COVID-19 dans le monde, le président de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, mettait en garde les gouvernements contre l’infectiosité et le danger de cette maladie tout en rappelant que tous les pays n’ont pas la même capacité d’accueil, les mêmes ressources et moyens pour gérer cette crise, ce qui était déjà le cas pour les autres défis de la santé. A la fin de son discours, il rappelle d’importants enjeux pour combattre l’épidémie, faisant écho à ceux de la santé : « Prevention. Preparedness. Public health. Political leadership. And most of all, people. »[3]. La diversité des défis est bien grande. D’ailleurs, « Tirer parti des nouvelles technologies » est un des grands défis de la santé selon l’OMS[4].

Le numérique est également un grand enjeu de l’hôpital. Des défis de la santé, nous pouvons déceler quatre grands enjeux de l’hôpital :

  • Remettre au centre le patient et les soins tout en gérant un afflux croissant de patient dans les hôpitaux et de possibles crises sanitaires nouvelles à venir
  • Créer une réelle cohésion entre les hôpitaux d’un même territoire et les établissements de santé de ville pour créer une offre de soin la plus complète et adaptée à tous
  • Appréhender et maitriser les technologies numériques pour accompagner l’hôpital dans sa transformation numérique : Big Data, Réalité Virtuelle, Blockchain, Machine Learning…
  • Répondre à l’impératif opérationnel : Assurer la pérennité de l’hôpital d’un point de vue administratif et organisationnel

Mis en évidence par la crise du COVID-19, l’investissement et le développement des moyens hospitaliers sont bien d’actualité.[5]

Est-il alors pertinent de penser que l’hôpital de demain est bel et bien le « Smart Hospital » ? Concrètement, il cherche à capitaliser sur l’émergence de nouvelles technologies et de l’innovation numérique pour :

  • Améliorer la qualité de soin du patient et sa prise en charge personnalisée
  • Aider les professionnels de santé, soignants et non soignants, au quotidien
  • Rendre l’hôpital comme un lieu de vie plus agréable et accueillant pour tous ses acteurs
  • Faire le lien entre la ville, le territoire et l’hôpital : homogénéité territoriale des soins

Si nous reprenons la définition de l’ENISA, il semble répondre en parti aux enjeux de santé mondiale et de l’hôpital. De plus, toujours dans la veine des concepts « Smart », des similarités sont présentes avec le concept de Smart City (Figure 1).

 

Figure 1 – « ADN » des enjeux communs de la « Smart City » et du « Smart Hospital »

 

Le « Smart Hospital » a donc tout pour plaire dans le milieu de la santé et des initiatives dites « Smart ». Pourtant, loin de ses prétentions, nous n’avons pour l’instant parler uniquement d’un concept hypothétique. Existe-t-il ? Si à ce jour, il est encore difficile de voir émerger un hôpital totalement « Smart » (par rapport aux critères vu plus haut) en France, des initiatives concrètes dans nos établissements de santé se multiplient et s’en rapprochent.

 

Des initiatives concrètes en France

Si l’hôpital intelligent dans sa forme la plus aboutie est encore en cours de construction, de multiples initiatives se développent. Afin de les catégoriser, nous avons créé cinq grandes initiatives (Figure 2) :

 

 

Figure 2 – Les 5 grands critères d’analyse des initiatives « Smart Hospital » [6]

 

Suivant ces critères, plusieurs de nos hôpitaux ont adopté ces initiatives[7]. Dans le volet prévention par exemple, l’AP-HP a adopté la solution OphtAI[8], développée par la société française Evolucare, afin de prévenir de la rétinopathie diabétique à grande échelle grâce à l’analyse de donnée, l’intelligence artificielle et la mise en place d’un système de notation pour évaluer la gravité de la maladie. Dans le volet diagnostic, le CHU de Nancy a fait le choix de la solution de Philips, Solution Intellivue Guardian[9], capable de repérer des signes de possibles maladies ou complications chez un patient présent dans une unité de soin et d’en avertir au plus tôt les professionnels de santé. Pour la catégorie traitement, le CHU de Bordeaux a conjointement développé avec la start-up Synapse Medecine[10] une plateforme permettant à un médecin d’être toujours informé concernant l’usage des médicaments dans un contexte donné (interaction médicamenteuse, effets secondaires du médicament pour le patient) de manière rapide (par une photo prise avec son smartphone d’une ordonnance) avec l’actualisation des informations médicamenteuses. Enfin, le CHU de Nîmes et la société Evolucare ont développé, pour le suivi global du patient, l’application Smart Angel[11] permettant la surveillance des patients en phase péri-opératoire et une aide à sa prise en charge hors de l’hôpital.

Avec ces initiatives, le concept de Smart Hospital devient plus concret. IOT, robotique, IA et machine learning, analyse de données, télémédecine… Toutes ses technologies sont construites non pas créées pour remplacer des moyens humains ou matériels mais sont des outils pour les patients et les professionnels de santé au quotidien. Elles permettent de créer un workflow partagé des tâches, d’informer les professionnels, d’aider le patient avec son traitement, de gérer une partie d’une unité de soin, de dématérialiser une partie des soins…

Néanmoins, des faiblesses technologiques ralentissent la progression de ces initiatives. Par exemple, l’hétérogénéité des SI au sein des établissements de santé freine le partage et la mutualisation des données entre les établissements d’un même territoire et voire d’un même groupement hospitalier ! (Le Dossier Médical Partagé tend à résoudre ce problème). Même chose pour les enjeux écologiques où la réduction des bilans carbone est encore trop faible. (La santé représentant 5%[12] des émissions nationales de CO2…)

 

Réduire le « Smart Hospital » à une entité purement numérique n’est alors pas pertinent. Trop d’enjeux (sociaux, climatiques et économiques) ne peuvent pas réduire le concept uniquement à un environnement numérique de haut-niveau. A quoi ressemblera alors l’hôpital demain ? Est-il donc le fameux « Smart Hospital » ?

 

A quoi ressemblera alors l’hôpital de demain ?

En quelque sorte, oui. Enfin, c’est toujours compliqué ! L’hôpital de demain sera pour sûr un hôpital de l’innovation numérique. Le « Smart Hospital » préfigure cette idée et va dans le sens de cette perpétuelle évolution technologique afin d’épauler le professionnel de santé (sans le remplacer) et le patient. Les premières applications de la réalité virtuelle ou de l’impression 3D le prouvent.[13] La médecine a suivi les évolutions technologies pour se les approprier et participer à l’amélioration des soins du patient et de la qualité de vie de ces professionnels de santé (Figure 3).

 

 

Figure 3 – La technologie et la médecine dans le temps

 

Puis, il doit permettre aux patients d’être acteur de ses soins. Comme pour l’exemple Smart Angel[14], l’hôpital de demain doit certes remettre au centre le soin mais mettre également le patient « au cœur de la gestion intégrée de ses soins », c’est-à-dire, que ses soins soient totalement personnalisés, que le dialogue avec le médecin soit continu et qu’il est conscience d’être pleinement impliqué dans ses soins. Les innovations numériques favorisent une personnalisation du soin patient et assurent au médecin un suivi complet et continu.

Enfin, si le « Smart Hospital » veut réellement être l’hôpital de demain, il doit surtout répondre aux enjeux actuels comme le réchauffement climatique (prise en compte des bilans carbones dans chaque solution développée à l’hôpital) ou l’accès aux soins (un hôpital ouvert et connecté au territoire). L’accumulation des gaz à effet de serre et la dégradation de la biodiversité imposent à l’hôpital d’être décarbonné et en accord avec les enjeux actuels. Malgré quelques exemples comme le ZERO NET CARBON du NHS, les choix politiques ne sont pas encore en phase avec cette réalité contribuant à une dégradation des conditions de travail de l’hôpital. Ainsi, le Smart Hospital doit créer un hôpital compatible avec le monde de demain, plus proche de la population mais aussi des acteurs économiques locaux ! La mise en place de l’IOT pour gérer l’hôpital d’un point de vue opérationnel (consommation électrique, eau, contrôle de la température etc.) dans le CHU de Grenoble grâce à la solution Pcvue Solutions est un bon exemple. L’expansion des téléservices, télémédecines et téléexpertises ainsi que la mutualisation des données entre établissements favorisent l’ouverture de l’hôpital à la médecine de ville et au territoire.

En conclusion, dire que le « Smart Hospital » est nécessairement l’hôpital de demain n’est pas suffisant. Certes, il doit être un guide pour le construire et apporte diverses solutions innovantes pour y répondre, en témoigne la multiplicité des initiatives en France. Néanmoins, le concept ne peut englober toutes les réalités actuelles. Enjeux sociaux, climatiques et économiques montrent que le « Smart Hospital » doit voir plus loin que son aspect numérique, tout en considérant qu’il peut résoudre une partie des problèmes de l’hôpital (bilan carbone, SI, accueil des patients, gestion des crises…). Encore faut-il qu’une convergence politique vers un objectif commun ait lieu pour faire advenir cet hôpital…

[1] Source

[2] Source

[3] Source

[4] Source

[5] « 19 milliards d’euros d’investissement dans le système de santé pour améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants et 8,2 milliards d’euros par an pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des EHPAD, et reconnaître l’engagement des soignants au service de la santé des Français » Conclusion du Ségur 2020

[6] Basé sur les dimensions de la e-santé de l’Institute Digital Health Forum (Source : https://conferences.hubinstitute.com/hub-digital-health-forum)

[7] Attention, nous parlons ici d’initiatives mises en place dans un établissement français mais pas forcément développée et créée de toute pièce par ce même établissement.

[8] Source

[9] Source

[10] Source

[11] Source

[12] Source

[13] Source ou Source

[14] Cf. Page 4

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