Qwant : l’alternative européenne à Google

Le 25 mai 2018, le règlement général sur la protection des données (RGPD) entrait en vigueur dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne. Si la volonté de protéger les utilisateurs face aux dérives du monde numérique ne date pas d’hier (en 2014 déjà, la Cour de Justice de l’Union Européenne contraignait Google à reconnaître le droit au déréférencement pour les résidents européens), cette nouvelle réglementation vise à assurer une protection des données personnelles généralisée pour l’ensemble des citoyens européens.

La prise de conscience des sphères publiques et privées a sans aucun doute été accélérée par la multiplication de scandales touchant à l’utilisation et/ou la protection de données personnelles et impliquant notamment les géants américains du numérique. Ces derniers mois, des révélations explosives ont placé le sujet de la protection des données au cœur de l’actualité. Ainsi, au printemps 2018, l’affaire « Cambridge Analytica » a déchaîné les foudres contre Facebook. Cambridge Analytica, entreprise britannique, est accusée d’avoir acquis illégalement les données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs Facebook. En octobre 2018, Google a révélé l’existence d’une faille de sécurité ayant exposé les données personnelles de centaines de milliers de comptes Google+. Plus généralement, il existe une préoccupation grandissante face à l’utilisation des données personnelles par les grands acteurs du numérique. Nombreux sont les utilisateurs qui souhaiteraient reprendre le contrôle sur leurs données et obtenir une plus grande transparence.

Dans ce contexte, Qwant, moteur de recherche franco-allemand dont le faire-valoir est le respect des données privées de ses utilisateurs, semble être une alternative séduisante pour se passer du géant américain Google, et permettre aux citoyens européens d’accéder à une offre crédible, sûre et indépendante. Mais le petit poucet, créé en 2013, parviendra-t-il à trouver sa place face au mastodonte américain, et à assurer son développement sans renier ses valeurs ?

Qwant : la géopolitique au cœur du numérique

Qwant (moteur de recherche initialement franco-allemand de par la structure de son actionnariat) a été créé avec une philosophie : permettre à ses utilisateurs de surfer sur internet en toute liberté, avec la garantie d’un respect de leur vie privée (pas de cookies, ni de traçage publicitaire). Le moteur de recherche affirme son identité européenne, et sa volonté de proposer une alternative crédible aux géants américains, en particulier Google. L’entreprise s’insère par conséquent dans des enjeux bien plus larges de géopolitique.

Qwant veut permettre à ses utilisateurs de surfer sur internet incognito

Les états européens ont tout intérêt à défendre et promouvoir leur indépendance technologique face aux USA, d’un côté, et la Chine, de l’autre, qui se livrent une guerre économique constante. L’enjeu de l’indépendance technologique a marqué la construction de l’Union Européenne. Le développement du programme satellite européen Galiléo, dont le déploiement devrait s’achever vers 2020, témoigne par exemple de la volonté d’offrir une alternative au système américain GPS. Avec les scandales à répétition dans le domaine du numérique, la question de la souveraineté technologique se pose aujourd’hui plus que jamais.

Un ancrage exclusivement européen pour soutenir le développement ?

L’idée d’un moteur de recherche européen, indépendant des géants du numérique transatlantiques, semble par conséquent être un projet stratégique pour les états européens. Et c’est une dimension sur laquelle Éric Léandri, co-fondateur de Qwant, veut insister. Le moteur de recherche franco-allemand entend miser sur un ancrage quasi-exclusivement européen, à tous les niveaux (collaborateurs, implantations physiques, serveurs informatiques, etc.).

De ce côté, le moteur de recherche a subi plusieurs attaques au sujet de ses relations avec ses partenaires étrangers, et notamment l’américain « Microsoft » que Qwant utilise en complément de recherche via « Microsoft Bing», et comme régie publicitaire. L’entreprise a d’ailleurs récemment annoncé qu’elle utiliserait désormais les serveurs « Azure » de Microsoft pour soutenir son développement. Selon les fondateurs, ce partenariat vise à fournir une solution performante et des résultats complets aux utilisateurs, notamment dans l’attente d’une meilleure indexation. Néanmoins, même si cette coopération ne remet pas en cause l’indépendance numérique de Qwant, et les valeurs qu’il entend propager, c’est une dimension sur laquelle il devra être irréprochable, sous peine de perdre la confiance qu’il a gagné auprès de ses utilisateurs.

Car si les débuts ont été difficiles, Qwant semble avoir enfin trouvé des oreilles attentives au sein du gouvernement français et des institutions publiques. Preuve que l’enjeu de la souveraineté technologique est pris très au sérieux, le ministère des Armées a annoncé son passage à Qwant, très vite imité par l’Assemblée Nationale, la région Île-de-France, ou en encore la ville de Paris. D’ailleurs, le projet Qwant est soutenu financièrement par de grands acteurs publics français et européens. La Caisse des dépôts a ainsi investi 15 millions d’euros dans le projet au début de l’année 2017, pour aider Qwant à poursuivre son développement. Sans oublier les 25 millions d’euros prêtés par la banque européenne d’investissement en 2015.

Qwant est donc sur de bons rails, et son projet de croissance est ambitieux. Mais il fait face à un véritable mastodonte, ancré sur le marché et doté d’une puissance financière considérable.

David contre Goliath : comment survivre face à Google ? 

Face au petit poucet Qwant se dresse un véritable géant, Google, dont l’hégémonie est quasiment sans faille. Avec plus de 90% de part de marché en France, et une puissance financière (plus de 100 milliards de dollars de chiffre d’affaire en 2017) qui lui permet de rayonner sur les marchés où il est implanté, Google est un mastodonte difficile à bousculer.

Concrètement, le moteur de recherche est devenu indispensable pour un grand nombre d’entreprises, qui tirent profit du trafic généré par Google (plusieurs milliards de recherches par jour). Avoir un bon référencement Google est absolument capital dans de nombreux secteurs. Les entreprises s’arrachent les « clics » des utilisateurs, à des prix parfois exorbitants, lorsque le secteur est concurrentiel. Par exemple, le coût par clic du mot clé « Plombier Paris » dépasse les quarante euros.

Google a par conséquent une puissance de lobbying très importante. Lorsque Qwant est parvenu à conclure des partenariats avec des constructeurs de smartphone afin que son moteur de recherche soit installé par défaut sur les téléphones, Google aurait menacé de leur couper l’accès à « Google Services » (la partie propriétaire d’Android dont les constructeurs de téléphones ne peuvent plus se passer aujourd’hui). La commission européenne a depuis pris des mesures historiques contre Google pour sanctionner ce qu’elle considère être un « abus de position dominante ».

Mais l’hégémonie de Google sur des pans entiers du Web, et notamment sur les vidéos par l’intermédiaire de leur service « YouTube », leur permet de mettre des bâtons dans les roues de leurs concurrents. Ainsi, lorsque Qwant a initié le développement de « Qwant Music », la plateforme « YouTube » leur a coupé l’accès à Vevo (le plus grand service mondial de visionnage gratuit et légal de clips vidéo en HD). Le petit poucet français a donc dû entreprendre des négociations directes avec Universal Music (le groupe propriétaire de Vevo), pour obtenir un accès au service.

Innover pour subsister

Afin de trouver une place durable sur le marché, Qwant a beaucoup travaillé pour étoffer son offre et proposer de nouveaux services à ses utilisateurs. Avec « Qwant Junior », l’entreprise propose un service dédié au jeune public, en proposant un contenu filtré (pour éviter les contenus inadaptés à un jeune public) et à visée éducative. Ce service rencontre un franc succès et a vocation à se développer dans les structures d’enseignement. Plus récemment, l’entreprise a annoncé le lancement de « Qwant Causes« , un moteur de recherche spécifique qui permet de récolter des dons pour les associations grâce aux revenus générés par les requêtes des internautes. 

Qwant diversifier ses offres afin de proposer une solution crédible et compétitive

Autre innovation de taille sur laquelle travaille Qwant : la création d’un service de messagerie. L’entreprise espère lancer une première version de « Qwant Mail » au premier semestre 2019. Mais de nombreuses questions demeurent : sur quels serveurs héberger les messageries des utilisateurs de « Qwant Mail » ? Comment assurer une imperméabilité des comptes ? Quel délai prendra la création d’une offre entièrement chiffrée (la version annoncée au premier semestre 2019 ne sera probablement pas chiffrée) ? En tout cas, Qwant s’applique à créer de nouveaux produits pour proposer une offre complète et fidéliser ses utilisateurs.

 

En définitive, si le développement de Qwant est prometteur, l’entreprise va devoir confirmer et passer à la vitesse supérieure pour s’implanter durablement sur le marché. L’expansion géographique amorcée est sans aucun doute un axe stratégique sur laquelle l’entreprise pourra miser, avec des ressources potentielles notamment dans les pays d’Afrique francophone. En outre, la jeune pousse française (de 5 ans tout de même !) peut compter sur une communauté d’utilisateurs convaincue par son projet et ses valeurs. Si la part de marché de Qwant reste à ce jour marginale face à l’hégémonie de Google, les fondateurs n’entendent pas laisser leur concurrent dormir sur ses deux oreilles !

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