Les objets connectés au service de la santé : votre smartphone bientôt remboursé par la Sécurité Sociale ? [1/3]

Après plusieurs centenaires de patientes observations et expérimentations, la recherche médicale pourrait bien connaitre une révolution avec l’avènement des objets connectés et du Big Data. Que ce soit par la multiplication des dispositifs médicaux de mesures ou les possibilités des smartphones, jamais les chercheurs, médecins et industriels du médicament n’ont eu autant de données à analyser pour faire progresser la médecine.

Consciente du potentiel de ces informations médicales personnelles, la start-up parisienne Ad Scientiam s’est spécialisée dans le développement d’applications mobiles destinées à la récolte et à l’interprétation des données de santé.

Nous avons rencontré deux de ses fondateurs, Benjamin Pitrat, psychiatre et addictologue et Directeur Scientifique de Ad Scientiam, et Amaury Larreur, CTO, pour qu’ils nous apportent leur éclairage sur la réalité, les dynamiques, les acteurs et surtout les enjeux du marché des données médicales personnelles.

Cette première partie sera centrée sur les aspects macro-économiques de ce marché.

Quel visage a le marché des données médicales aujourd’hui, en Europe et dans le Monde ?

« Le marché est clairement en explosion«  assène d’entrée Benjamin Pitrat, « Aujourd’hui il y a une multitude de PME et de start-ups et on commence à voir l’arrivée des géants qui se plongent dans le marché de la santé, notamment les GAFAMS [ndlr: Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et Samsung]« .

Indice révélateur de cette explosion, de récentes estimations (Green book et Mac Kinsey) parlent aujourd’hui de 50 à 100 Milliards d’euros d’économies à réaliser pour les systèmes de soin d’ici à 2020 aux Etats-Unis (et environ la même chose pour l’Europe), si l’on exploitait judicieusement le potentiel les données produites par les objets connectés. Ces économies envisagées sont pour l’instant principalement issues de la diminution du coût du traitement d’un patient (séjour plus court à l’hôpital, moins de papier, moins d’analyses car données déjà à disposition, etc).

Comme le marché prend rapidement de l’ampleur, les acteurs font de même. « On voit maintenant de gros acteurs, il y a une accélération et une rationalisation du marché » confirme le Docteur Pitrat. Pour l’instant, il y a en majorité des start-ups et PME, mais de grands groupes commencent à se lancer, avec leur propre marque ou en acquérant des start-ups prometteuses. Certaines sociétés déjà bien implantées décident aussi de fusionner pour avoir plus de poids face aux autres acteurs du monde de la santé que sont les pouvoirs publics, les hôpitaux ou encore les groupes pharmaceutiques.

Qui sont les grands acteurs du marché des objets connectés pour la santé aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le marché est séparé en deux catégories:

  • D’un coté, les sociétés, parfois très connues, qui se lancent dans les applications à destination du grand public, dont Fitbit, iHealth ou les produits Withings sont les plus connus. Ces applications proposent principalement du Quantified Self et ont en réalité peu de valeur scientifique pour le monde de la santé. En effet, ces données ne sont pas générées par des dispositifs médicaux validés et peuvent donc manquer de précision. De plus, de nombreuses informations (rythme cardiaque, nombre de pas, calories ingérées…) sont bien souvent inutiles pour des médecins qui cherchent à détecter des symptômes précis.

    Visualisation Application Fitbit
    Les fonctions proposées par FitBit sont considérées comme des gadgets par les médecins
  • De l’autre, on retrouve en plus petit nombre des sociétés spécialisées dans le monde de la médecine, qui commercialisent des dispositifs destinés directement aux professionnels de la santé.

Les demandeurs, quant à eux, sont multiples. Les systèmes hospitaliers voient évidemment dans les objets connectés un moyen de rationaliser le « parcours du patient » (préopératoire, post-opératoire, télé-suivi, etc.) et s’y intéressent donc de près. Mais ce ne sont pas les seuls: « Il y a  très clairement une attente des patients pour cette modernisation, et les médecins s’y mettent aussi « , explique le Docteur Pitrat.

Institutionnels, membres du corps médical ou simples patients, l’idée d’une utilisation plus « industrialisée » des données de santé fait donc son chemin. C’est par exemple une façon répondre efficacement à des besoins très concrets du monde de la santé :

  • Limiter l’impact de la pénurie de médecin et des déserts médicaux de certaines régions.
  • Mieux gérer le traitement des pathologies chroniques (diabète, bronchite chronique, insuffisance cardiaque, etc.), qui demandent un suivi régulier, mais pourtant simple s’il est effectué avec des objets connectés. Ce besoin ne fera que s’accentuer avec le vieillissement de la population.
  • Raccourcir les séjours médicaux et les examens pour réduire les dépenses du système de santé
  • Etc.

Quel est le degré de maturité du marché ?

Intégrer ces objets connectés au monde hospitalier et exploiter correctement les données générées (n’oublions pas que des vies sont en jeu) demande beaucoup de moyens financiers. De nombreux hôpitaux fonctionnent encore principalement avec des documents papier, même dans les pays industrialisés. Leur SI n’est pas agile, et pour s’adapter aux centaines de modèles d’objets connectés existants, il leur faudrait repenser toute l’architecture informatique, ainsi que les méthodes de travail du personnel soignant.

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En France, sous l’impulsion du programme hôpital numérique (lancé en Novembre 2011), les milieux de la santé ont peu à peu entamé leur transformation digitale, mais refondre un système souvent vieux de plusieurs dizaines d’années prend évidemment du temps.

Grace à la structure de leur système de santé, les Etats-Unis sont largement en avance sur l’Europe. « Les HMO (Health Maintenance Organization) et les Hôpitaux Universitaires des Etats-Unis sont privés et gèrent de gros budgets. Ils peuvent ainsi évoluer très vite » confirme le Docteur Pitrat. La plupart des structures hospitalières américaines sont en grande partie privée outre-Atlantique : le rendement est donc une question cruciale, et ces structures n’hésitent pas à miser gros sur cette technologie prometteuse, sans être entravée par la bureaucratie et l’inertie d’une structure étatique nationale comme c’est le cas en France.

« Les processus de décision sont plus lents en Europe », affirme Amaury Larreur, où la majorité des systèmes de santé relèvent du public. Pour se lancer dans des évolutions techniques et organisationnelles, les pouvoirs politiques doivent donner leur accord, et même dans ce cas, on peut rencontrer des réticences au changement (la CNAM en France par exemple). Les membres du corps médical eux-mêmes sont parfois hostiles à ces dispositifs qui remettent en cause la médecine hospitalière telle qu’on la connait aujourd’hui.

Ainsi, en Europe, malgré un tissu de start-up proposant des solutions très innovantes pour le monde médical, les objets connectés ont encore du mal à pénétrer le monde hospitalier, notamment pour des raisons financières et structurelles.

La France, et l’Europe en général sont donc en retard par rapport aux Etats-Unis sur l’intégration dans les hôpitaux des objets connectés et l’exploitation des données. Quelles sont les conséquences sur le marché Européen ?

« En Europe, si on ne se réveille pas, les données de santé vont partir aux Etats-Unis«  déplore le Docteur Pitrat. Plutôt que d’être récoltées et exploitées par des sociétés européennes, faute de solutions technologiques satisfaisantes, elles seront revendues à des sociétés étrangères qui s’en chargeront pour nous, et il y aura un vrai manque à gagner pour les pays qui ne sauront pas être auto-suffisant et profiter de cette manne.

Pas de risque immédiat de fuite de données cependant, « la France est le pays le plus restrictif au niveau de l’échange des données de santé » tempère Amaury Larreur. Les sociétés étrangères qui tentent de s’installer en France se heurtent pour l’instant à la CNIL et à l’ASIP Santé. Votre bilan de cholestérol n’est donc pas encore prêt de se retrouver dans des Datacenter californiens.

Toutefois, avec l’arrivée des géants américains, qui eux ont les moyens de faire pression pour changer les réglementations, ou du moins les contourner, il y a un véritable risque éthique et économique de voir les données de santé personnelles s’envoler vers des sociétés américaines.


Le marché des données de santé semble donc clairement se révéler être un enjeu économique et stratégique crucial dans les prochaines années. Avec des applications qui se concrétisent et une utilisation toujours plus généralisée des objets connectés, les entreprises de ce marché ont du pain sur la planche, mais les années à venir risquent d’être tumultueuses : entre la concentration des petites entités, ou l’arrivée des GAFA et de leurs moyens démesurés, la bataille sera rude pour se démarquer.

Contrairement aux Etats-Unis, les gouvernements européens et en particulier français, ne semblent pas encore réaliser à quel point ce marché sera stratégique dans quelques années. On assiste une nouvelle fois à des législateurs qui n’arrivent pas à suivre la technologie : nos entreprises européennes risqueraient vite d’en pâtir comme ce fût le cas pour nos précurseurs européens de l’Internet : d’une multitude de petites sociétés issues de différents pays, il n’est au final resté que d’énormes multinationales américaines.

Et quand bien même, si la volonté est là, il faut encore que les systèmes d’information des hôpitaux emboîtent le pas ! La prochaine partie de cet entretien s’attardera justement sur les problématiques techniques qui se présentent aux clients de ce marché, à savoir comment absorber, traiter, exploiter ou échanger toutes ces données.


A propos d’Ad Scientiam

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Ad Scientiam prend actuellement ses quartier dans l’incubateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière de la Pitié Salpétrière. La mission que s’est initialement donnée cette start-up est de se servir du smartphone pour faire de la recherche sur les données en vie réelle, toutes ces actions que font les patients lorsqu’ils sont malades, et après avoir vu un médecin (prise de médicament, évolution de la maladie au jour le jour, etc.). Largement fondée sur une recherche très poussée, Ad Scientiam veut développer un outil de suivi de d’aide au parcours de soin du patient. Les solutions proposées par la société sont évolutives et étoffées de développements spécifiques, validés par la communauté scientifique, en fonction des besoins des clients. In fine, Ad Scientiam s’affaire à remettre le patient au centre de la Santé.

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